La French Tech mise en danger par une directive européenne

Alors que le projet French Tech, lancé par Fleur Pellerin, diffuse une atmosphère positive sur l'écosystème numérique français, un grave danger, largement passé inaperçu jusqu'alors, menace toutes les initiatives numériques qui fleurissent ça et là, et risque de faire retomber l'enthousiasme des acteurs de la French Tech. Par Christophe Baillon, président de Sogilis et de Startup Maker.
Christophe Baillon, président de Sogilis et de Startup Maker

Depuis le 27 juillet 2013, la directive européenne AIFM a été transposée en droit français par ordonnance. Le but, louable, de la directive est de mieux protéger les épargnants en créant un cadre harmonisé pour les fonds d'investissement dans les pays de l'Union. Elle a été impulsée lors du sommet du G20 en 2009, dans un contexte de crise systémique, particulièrement marqué par la chute de la banque Lehman Brothers et le scandale Madoff.

Une contrainte plus forte

La directive AIFM introduit la définition de FIA (Fonds d'Investissement Alternatif), notion absente en droit français auparavant. Est considéré comme FIA tout véhicule juridique (SA, SAS, SARL, SCR, SCI, holding, etc...) qui n'est pas un OPCVM et qui lève des capitaux auprès d'investisseurs, en vue de les investir selon une politique d'investissement.

L'intégralité de la directive s'applique aux fonds qui gèrent plus de 500 millions d'euros d'actifs, ou 100 millions en cas de recours à l'effet de levier.

Mais à y regarder de plus près, la transposition en droit français apporte une contrainte plus forte, fatale à de nombreux acteurs de l'économie numérique. En effet tout FIA, peu importe sa taille, doit absolument obtenir un agrément AMF (Autorité des Marchés Financiers) de droit commun, avant le 22 juillet 2014.

Une entité est considérée comme un FIA si elle lève des capitaux auprès d'au moins 2 investisseurs, dont un non professionnel, et qu'elle les investit selon une politique définie.

De nombreux acteurs concernés

Les acteurs concernés sont vastes et nombreux : les accélérateurs qui financent des startups, tous les fonds d'amorçage de taille petite et moyenne, les fonds de proximité et les fonds régionaux, les sociétés d'investissement de business angels, les fonds d'investissement d'écoles et d'incubateurs, certaines holdings, les structures d'investissement d'entreprise si elles lèvent des capitaux, toutes les initiatives innovantes qui aident les startups à se développer et qui les financent...


Les mesures imposées sont disproportionnées: les structures citées précédemment sont de faible taille, gèrent peu de capitaux et pour un nombre restreint d'investisseurs. Leurs opérations se limitent très souvent à la gestion de titres non cotés, qui représentent une part plus que minoritaire dans la liste de toutes les opérations de placement et d'investissement complexes couvertes par la réglementation AMF et dont ces structures doivent néanmoins avoir la maîtrise si elles souhaitent obtenir l'agrément.

Des mesures disproportionnées

Ces mesures sont inadaptées : les investisseurs que la directive vise à protéger est un public d'épargnants, proches du consommateur, alors que ces structures fédèrent le plus souvent des chefs d'entreprise éclairés, parfaitement conscients des risques inhérents à leur placement en capital dans des sociétés de proximité et à même de suivre très directement les évolutions de ces sociétés (et pas forcément considérés comme investisseurs professionnels par l'AMF).

Que faut-il mettre en place pour obtenir un agrément AMF ? Les contraintes sont une montagne administrative qui font perdre toute agilité à de petites structures:

-125.000 euros de capitaux propres placés en permanence de façon prudentielle
-Au moins 2 gérants financiers à temps plein ayant l'honorabilité et les compétences pour gérer de l'épargne collective
-Un responsable du contrôle interne et de la conformité
-Constitution d'un programme d'activité
-Mise en place de procédures de lutte contre le blanchiment d'argent et le terrorisme
-Passage d'une certification AMF des gérants
-Procédure de gestion des risques
-Nomination d'un dépositaire pour le suivi du flux de liquidités, la garde des actifs et le contrôle, dont les frais sont dissuasifs pour une petite structure

L'obtention de l'agrément est longue, complexe et coûteuse, et attribuée au compte-goutte.

La position de l'AMF est claire: au 22 juillet 2014, tous les FIA qui n'auront pas d'agrément devront fermer, ou risqueront 3 ans de prison et 375.000 euros d'amende.

De nombreux acteurs ignorent être dans l'illégalité

Il est surprenant de constater la contradiction entre l'initiative French Tech qui vise à faire émerger des champions du numérique en facilitant les projets innovants, et la directive AIFM, dont les contraintes vont faire disparaitre les petits acteurs, et paralyser le financement des entreprises en amorçage. Les très gros fonds sont en effet peu actifs dans le financement de startups en early stage.

De nombreux acteurs découvrent seulement maintenant les ravages de la directive, de nombreux fonds ont décidé d'arrêter leur activité en l'absence de solution, des projets d'accélérateurs sont découragés. Certains n'ont même pas connaissance du fait qu'ils seront bientôt en totale illégalité. Nous ne pouvons qu'être favorables à une meilleure régulation et une harmonisation européenne de la réglementation. Mais le législateur ne peut pas traiter de la même façon les gros fonds d'investissement qui interviennent sur les marchés boursiers, et les acteurs locaux qui apportent du financement aux jeunes pousses.

Une des solutions serait la mise en place d'une procédure d'agrément allégée pour les acteurs de petite taille, mais les pouvoirs politiques seront-ils suffisamment agiles pour le comprendre rapidement ?

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