Pourquoi Toulouse et Montpellier s’allient face à la grande Région

Ils ont mis de côté leurs couleurs politiques et travaillent ensemble pour que leurs métropoles pèsent face à la future grande Région. Chacun de leur côté, Jean-Luc Moudenc, maire UMP de Toulouse, et Philippe Saurel, maire divers gauche de Montpellier, ont répondu à nos questions sur le pouvoir des métropoles, la future capitale, ou encore leurs divergences politiques. Interview croisée.
Jean-Luc Moudenc et Philippe Saurel

Y a-t-il un risque de voir les métropoles perdre du pouvoir ?

Jean-Luc Moudenc : Les Régions n'ont pas à dicter leur loi aux métropoles. La mouture initiale de la loi NOTRe proposait un équilibre. Je regrette que le Sénat ait rompu cet équilibre en organisant la suprématie des grandes régions par rapport aux métropoles. Je souhaite que cette erreur soit corrigée par l'Assemblée nationale. S'il y a déséquilibre, il y a un risque de voir s'instaurer une guerre entre la Région et les métropoles. Et, à la fin, c'est le territoire qui y perdra.

Philippe Saurel : La nouvelle loi est faite pour ça ! Quand l'État a compris qu'en créant 12 métropoles, il a créé 12 baronnies, il a aussitôt voulu les recouvrir en créant 13 comtés, c'est à dire 13 nouvelles régions. Avec la fusion Midi-Pyrénées / Languedoc-Roussillon, c'est vraiment ça : on recrée le comté de Toulouse. L'Assemblée nationale a vu que la métropole serait un acteur trop important, donc elle a fait ressurgir le conseil départemental pour équilibrer tout l'édifice. J'ai soutenu cette réforme en vertu de ce principe : quand un pays ne se réforme pas, il régresse. Mais cette loi est typique de la culture politique française. C'est une réforme molle.

Comment concilier l'émergence de la nouvelle région avec la montée en puissance des métropoles ?

J-L. M : En anticipant. C'est la ligne de conduite que nous avons eue, alors même que la loi n'était pas votée. Il a fallu que les métropoles dialoguent, alors qu'elles n'en avaient pas l'habitude. Nous avons souhaité instaurer une coopération. Nous montrons que nous travaillons ensemble et que nous souhaitons travailler avec la nouvelle région dans un rapport équilibré. Les métropoles sont une chance pour la région.

P. S : Il ne sera pas possible d'éviter le rapport de force, qui s'est imposé d'emblée. Nous ne nous laisserons pas tenir en laisse par les nouvelles régions. J'ai proposé, dans le cadre de la loi NOTRe en cours de discussion, qu'une gouvernance des métropoles soit intégrée à la gouvernance des Régions, c'est à dire que celle-ci ménage un quota d'élus de la métropole. C'est la seule solution pour éviter le conflit.

Comment pourront s'articuler les compétences entre les deux collectivités, notamment en matière de développement économique ?

J-L. M : Le développement économique, que ce soit l'accompagnement des filières, le soutien à la création et l'aide aux entreprises, c'est la région qui doit en avoir le leadership. Mais les métropoles ont la politique foncière, l'accompagnement de l'espace, des zones d'activités, l'accueil des pôles de compétitivité. Nos missions sont donc complémentaires. Si les futurs schémas économique et d'aménagement du territoire sont écrits sous la dictée des seules régions, il y aura conflit. Il faut garantir une égalité dans le rôle des deux collectivités.

P. S : Je n'arrive pas à imaginer cette articulation. Je vous renvoie à la façon dont on construit cette réforme. De fait, les Contrats de plan sont à l'initiative de l'État et de la Région, et on y associe plus ou moins les métropoles... C'est une réforme qui n'est ni faite ni à faire.

Toulouse et Montpellier sont-elles rivales ?

J-L. M : Non. D'ailleurs, historiquement, les deux villes n'ont jamais été en rivalité. Et nous ferons en sorte qu'il n'y en ait pas. Il n'y a pas de raison qu'il y ait la guerre.

P. S : Non, car elles sont capables de s'entendre. Nous faisons face aux mêmes problèmes. Nous avons eu la sagesse de signer un pacte de non agression. Il garantit à Jean-Luc Moudenc la primauté sur sa métropole, et la même chose pour moi sur la mienne. Bien sûr, il est illusoire de croire que le maire de Toulouse se sacrifiera un jour pour Montpellier. Mais il y a plus d'inconvénients à se faire la guerre qu'à être en paix.

Sur quels grands sujets pourrez-vous travailler ensemble ?

J-L. M : Les sujets sont nombreux. L'université et la recherche, par exemple. Nous sommes deux terres de savoir. La LGV est également un dossier qui nous réunit. Nous devons nous battre ensemble pour que soient réalisés les maillons manquants, Toulouse-Narbonne et Montpellier-Espagne. Et il y a bien d'autres sujets, comme le tourisme, le développement économique, la santé, la culture...

 P. S : Il y a déjà des sujets qui se sont imposés de fait dans notre collaboration : le numérique, la santé, les CHRU, la cancérologie, la recherche... Nous devrons également faire une proposition ferroviaire intelligente pour rapprocher les deux métropoles et rapidement les connecter, avec un temps de trajet de 1h30.

Vos couleurs politiques différentes pourraient-elles constituer un frein à votre collaboration ?

J-L. M : D'emblée, nous avons démontré que notre dialogue dépassait les clivages politiques. Les Français sont fatigués des guerres politiques permanentes. Lorsque deux hommes politiques de deux bords différents savent mettre la politique au vestiaire pour construire ensemble dans l'intérêt général, c'est un message positif.

P. S : Ce n'est ni l'intérêt de Toulouse, ni celui de Montpellier. L'important est de mettre en place cette politique de projets. Et pas une politique d'alcôves. Il faut travailler sur nos complémentarités et la fluidité de nos relations. Je connais l'orientation politique de Jean-Luc Moudenc et il connaît la mienne. Mais lors de notre déjeuner à l'Élysée, aucune couleur politique n'est ressortie. Face à François Hollande, nous avons évoqué les mêmes sujets.

Toulouse Métropole a nommé un "Monsieur Montpellier" et la métropole montpellieraine a fait de même. Comment se concrétisera leur collaboration ?

J-L. M : Ils vont coécrire une feuille de route stratégique commune, afin que nous soyons en capacité, début 2016, d'aller voir la nouvelle présidence de Région et la nouvelle préfecture de région et de parler le même langage. Nous entamons un travail de fond. Nous passons d'une phase de symbole politique à une phase plus opérationnelle.

P. S : Il faut d'abord apprendre à se connaître. Nous devons avoir un canevas de travail et, ensuite, l'organiser. Après avoir identifié les thématiques sur lesquelles nous pourrons nous rencontrer, il reviendra aux deux présidents de métropoles d'amender ce document. Sur les sujets que j'évoquais, tels que le TGV, le numérique ou les hôpitaux, nos positions sont déjà en parfaite adéquation.

En impulsant dès l'été 2014 cette collaboration, vous souhaitiez prendre la Région de vitesse ?

J-L. M : Non. Nous souhaitons être des partenaires positifs de la grande Région, en parlant d'une même voix. En évitant la cacophonie, nous éviterons que la nouvelle Région ait à départager deux belligérants. Donc, je dirais qu'au contraire, nous lui facilitons la tâche. Nous faisons en sorte qu'elle puisse s'appuyer sur ses deux métropoles.

P. S : Moi, je fais le travail, tout simplement. En politique, il est toujours important d'anticiper. On dit que gouverner c'est prévoir, mais il faut aussi choisir.

Peut-on imaginer un futur pôle métropolitain Toulouse-Montpellier ?

J-L. M : Nous y réfléchissons. Montpellier est en train de se structurer dans ce sens.
Nous-mêmes, nous développons un "dialogue métropolitain", susceptible, nous le verrons, de devenir un pôle métropolitain. Se posera ensuite la question de faire se rencontrer les deux démarches et, pourquoi pas, de les faire converger en une seule. Je n'exclus rien, mais tout se fera en partenariat avec l'ensemble des agglomérations concernées.

P. S : Oui. Le pôle métropolitain est une structure souple, dédiée d'abord à la concertation entre collectivités. Rien n'empêche de créer une assemblée de type Conseil de développement qui rassemble les deux métropoles. Réunir une assemblée de tous nos élus une fois par an, pour traiter de sujets communs, c'est utile.

Quelle capitale préconisez-vous pour la grande région ?

J-L. M : Je préconiserais la capitale qui a la préférence de mon cœur, bien évidemment. Mais je n'en parle pas trop car, d'une part, ce sera à l'État de décider et, d'autre part, nous avons convenu que cette question ne serait pas centrale. Quelle que soit la capitale, de toute façon, la coopération sera organisée entre nos deux métropoles. Nous ne faisons de cette question ni un préalable, ni un absolu.

P. S : C'est à l'État de décider. Je suis favorable à deux capitales, qui se répartissent les rôles de telle sorte que chacun renforce sa capacité d'action et d'attractivité. Nos prédécesseurs ont réussi à le faire au Moyen-Âge, en construisant le Canal du Midi pour joindre nos deux régions. Et nous ne pourrions pas le faire aujourd'hui sur le numérique ou le TGV ?

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