Catherine Lemorton : "En l'état actuel, je ne vote pas" la loi travail

Malgré les modifications apportées lundi 14 mars par Manuel Valls, la députée socialiste légitimiste Catherine Lemorton estime qu'elle ne votera pas le texte en l'état actuel. La présidente de la commission des affaires sociales réclame de nouveaux changements et regrette la méthode employée par le gouvernement.
Catherine Lemorton, députée PS et présidente de la commission des affaires sociales.

Vous avez cosigné une lettre adressée au Premier ministre lui demandant d'apporter des modifications à l'avant-projet de loi Travail. Certaines ont été annoncées lundi par Manuel Valls. Avez vous le sentiment d'avoir été entendue ?

C'est un retour à la raison. Un retour sur de l'acceptable. Le gouvernement est revenu sur des points que nous considérions comme des casus belli.

Nous avons été entendus sur les barèmes prudhommaux qui ne seront plus impératifs mais indicatifs. Cela permettra de mettre un peu de cohérence entre les juridictions car les réparations peuvent varier de 1 à 7.

C'est mieux pour l'égalité républicaine. J'avais fait le calcul : en travaillant deux ans dans une entreprise, un salarié pouvait toucher jusqu'à 12,5 % de tout ce qu'il avait gagné. Par contre, un salarié avec 40 ans de fidélité à son entreprise ne toucherait que près de 3 %. C'était ce que j'appelle la moins-value à la fidélité !

En l'état actuel, voteriez-vous ce texte ?

Il y a de bonnes choses dans ce texte. C'est pour cela que je ne demande pas le retrait. Mais je ne le défends pas à tout prix. Je veux une amélioration que je ne suis pas certaine d'obtenir. Tel qui l'est, je ne le vote pas car il y a encore des choses qui ne me vont pas.

Lesquelles ?

Il reste encore du travail sur l'article 30 bis sur la définition des licenciements économiques. Il a été rajouté au dernier moment. J'entends son esprit, mais il faut l'affiner car justifier des licenciements par une baisse du chiffre d'affaires, ce n'est pas assez précis. Est-ce une baisse de 1 % ou de 10 % ? Par ailleurs, à la fin d'un alinéa, la phrase "pour toute raison de nature à justifier les difficultés" justifiant les licenciements me gêne beaucoup. De nombreuses entreprises m'ont expliqué comment elles pourraient licencier grâce à cette phrase. Je pense que je poserai un amendement de suppression.

Me dérange aussi la qualification pour raison personnelle d'un licenciement quand un salarié refuse un accord offensif. Si, par exemple, une entreprise qui n'est pas en difficulté demande d'augmenter les heures de travail et qu'un salarié refuse, il peut être licencié pour motif personnel. Pour moi, c'est un motif économique. Imaginez arriver devant un nouvel employeur avec ce précédent licenciement pour motif personnel. C'est un problème.

Un autre point concerne le fait qu'un groupe avec une filiale en France peut licencier si celle-ci va mal. On sait très bien qu'il est possible de procéder à des artifices comptables. Le gouvernement a dit qu'un juge ira vérifier la réalité de la chose. Mais cela demande un travail très rapide alors que la justice est déjà très occupée.

Enfin, à propos des TPE-PME, on ne peut pas dire "on vous aide car, quand vous embauchez, vous pensez à licencier". C'est une démarche intellectuelle un peu spécieuse. Il faut trouver des solutions pour les aider. L'article sur l'appui à l'entreprise dit qu'une autorité administrative pourra apporter des réponses aux questions d'une TPE-PME de moins de 300 salariés. Nous allons nous appuyer sur cet article pour améliorer la situation pour les TPE-PME.

Aujourd'hui, le code du travail tel qu'il est et les modifications qu'on veut lui apporter s'adressent aux entreprises de plus de 2 000 salariés. Les plus embêtées sont les TPE-PME qui maintiennent l'emploi sur le territoire.

L'avant projet de loi est trop flou pour les TPE-PME ?

Oui, car ces entreprises ne cherchent pas à licencier plus facilement mais à trouver des gens dans les secteurs en tension. Il y a un besoin de formation. On va d'ailleurs ajouter des heures sur le compte personnel de formation pour tirer vers le haut les gens qui n'ont pas pu accéder à un niveau d'instruction suffisant.

Il y a aussi la garantie jeune qui va être étendue et concerner plusieurs milliers de jeunes qui ont disparu du radar de la société. Pendant un an, il recevront une garantie de 400 euros et recevront une formation.

Et concernant le travail des apprentis ?

L'avant-projet de loi proposait de simplement informer l'inspection du travail - au lieu de demander une autorisation - en cas de journée de plus de 8 h. Myriam El Khomri a eu raison de reculer face à la polémique. Mais en vérité, les apprentis travaillent déjà 10 heures par jour dans certains secteurs, comme le BTP par exemple. C'est normal, car l'apprenti doit bien connaître son milieu. Il faut cependant être attentif au temps de repos qui suit. Quatre journées de 10 heures doivent entraîner trois jours de repos.

Que vous inspire la méthode du gouvernement ?

Elle a été très mauvaise dès le départ. Les partenaires sociaux ont été conviés. Quand ils disent le contraire, ce n'est pas vrai. Par contre, nous les parlementaires, avons été mis sur la touche totalement. On n'a même pas assisté au match ! Découvrir cela dans la presse, on le prend super mal. Même quand on est, comme moi, une légitimiste non suiviste à 100 %. Nous devons être associés un minimum.

Là-dessus, le Premier ministre s'est excusé. Il a reconnu sa faute sur la méthode. Mais je ne comprends toujours pas le pourquoi. Quel était l'intérêt de crisper le groupe socialiste qui, dans sa majorité, veut travailler avec le gouvernement ? Ce texte est assez difficile à avaler sur certains paramètres. Est-ce qu'on a voulu jeter un gros pavé dans la mare pour ensuite n'en retirer que les petits cailloux tout autour ?

Jamais un code du travail n'a été écrit pour créer de la croissance. Il est là pour régir les relations entre employeurs et employés. La croissance et le partage du temps de travail créent des emplois. Le code du travail, non. Si c'est l'alpha et l'omega pour résoudre la question du chômage, pourquoi ne pas l'avoir fait en septembre 2012 ? Pourquoi attendre d'être à un an de la présidentielle pour présenter ce texte qui a priori ne fait pas partie de notre ADN et crispe tout une partie de la gauche ? Je ne comprends pas.

Ce texte va fluidifier les relations, faciliter l'entrée et la sortie du travail, mais il ne créera pas d'embauches. Si on veut aller vers une flexibilité comme cela, il faut aller vers le modèle norvégien où le chômeur est pris en charge dès sa sortie du travail et non attendre un ou deux ans. Les discussions sur l'Unédic sont à mener en même temps que ces discussions sur le code du Travail.

Quel sera l'impact de ce texte pour le candidat du PS à l'élection présidentielle ?

Cela le défavorisera si le texte passe en force avec le 49.3. Cela m'étonnerait qu'on en arrive là, mais il faut s'attendre à tout. Si cela passe avec une majorité, je ne pense pas que cela le desservira à ce point à moins que notre électorat reste sur ce qui se dit à la télé, c'est-à-dire, l'écume du texte...

Les jeunes disent que cette loi va les précariser. Ils le sont déjà et le texte n'accentue pas leur situation. Par contre, il va faciliter la sortie des travailleurs de plus de 50 ans. Les jeunes ne doivent pas en faire un combat catégoriel. Le code du travail concerne tous les travailleurs. Il ne faut surtout pas aborder ce projet de loi en faisant des catégories dans la population. Sinon, on fait du Sarkozy qui, pendant 5 ans, a monté les gens les uns contre les autres. Ne jouons pas dans la même cour. Il n'y a pas les jeunes et les autres. Il y a une communauté nationale qui veut du travail.

Cela dit, j'observe que nous sommes dans un monde de zapping. Les électeurs vont passer à autre chose. La vie de tous les jours va se réimposer. Le temps choisi n'est pas idéal pour cette loi car les résultats positifs n'arriveront pas dans moins d'un an, donc notre candidat n'en profitera pas. Pour autant, je ne sais pas si cela impactera le candidat socialiste. Cela dégouttera peut-être des gens d'aller voter, mais j'espère que cela ne fera pas monter Marine Le Pen.

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