Vidéosurveillance "intelligente" à Toulouse : une technologie contreproductive ?

La Mairie de Toulouse a décidé de se doter d'un logiciel de vision artificielle relié aux caméras de vidéosurveillance qui serait capable d'alerter les opérateurs du PC sécurité en cas d'éléments inhabituels sur la voirie. Mais un récent rapport du Sénat et des travaux scientifiques critiquent ce type de dispositif de "vidéosurveillance intelligente", en raison du nombre important d'erreurs techniques.
À terme, Toulouse disposera de 350 caméras de vidéosurveillance.

"Imaginons une nuit place Saint-Pierre, une personne se met à courir. C'est peut-être à cause d'une rixe. Le logiciel d'intelligence artificielle sera capable de le repérer et d'alerter l'opérateur du PC vidéo", décrit Olivier Arsac, adjoint à la Mairie de Toulouse en charge de la sécurité. L'élu défend ardemment le projet de vidéosurveillance intelligente qui doit être lancé d'ici le mois de juin à Toulouse. La municipalité est en négociation avec le géant américain de l'informatique IBM afin d'acquérir un logiciel de vision artificielle pour analyser les images de videosurveillance sur une cinquantaine de caméras. Cet investissement de 150 000 euros vise à épauler le service de vidéosurveillance de Toulouse. Actuellement, ce dernier est composé de 35 opérateurs qui se relaient à raison d'un effectif de 4 à 8 personnes en permanence pour  gérer à terme 350 caméras.

"C'est une aide pour les opérateurs. Il faut savoir qu'actuellement un opérateur surveille une vingtaine de caméras en même temps : il regarde 5 minutes les images d'une caméra, les deux minutes suivantes une autre... Avec le logiciel, en cas de problème repéré sur une des caméras, le programme montre automatiquement l'image concernée. À l'opérateur de l'analyser et de décider ou non d'alerter une patrouille de police", poursuit l'élu.

Quels types de "problèmes" cette technologie est-elle censée détecter ? Ce sera à la Mairie de paramétrer le programme. "Le logiciel est capable de détecter un corps immobile à terre. Autre exemple, si un colis reste plusieurs minutes à un même endroit ou si une voiture heurte un bloc de béton qui ouvre une zone piétonne, une alerte peut se déclencher. Des tests ont été menés à Toulouse à l'automne et ils ont été bons, même si parfois des alertes se déclenchent alors qu'il ne se passe rien", décrit Olivier Arsac.

Trop de fausses alertes ?

Les fausses alertes sont précisément au cœur des critiques des travaux de recherche sur la vidéosurveillance intelligente. Une étude de l'université britannique Queen Mary publiée en 2011 soulignait parmi ces systèmes de détection beaucoup de "faux positifs", autrement dit une alerte pour un comportement normal, des perturbations face à un changement de luminosité ou encore un grand nombre de stimuli dans les lieux très fréquentés (aéroports, gares). Les auteurs estiment ainsi :

"Les technologies de vidéosurveillance actuelles souffrent d'un fort taux de faux positifs, d'une sursensibilité aux changements dans le contexte visuel en raison de règles très strictes et d'une mauvaise adaptation aux environnements accueillant des foules".

Par ailleurs, en 2015 un rapport du Sénat a mis en doute l'efficacité des systèmes de vidéosurveillance : "La vidéosurveillance n'a qu'un faible impact sur la délinquance dans les espaces complexes et étendus. Les vols à la tire ou une agression dans une foule sont difficiles à détecter rapidement par un opérateur et, même dans cette éventualité, il lui sera difficile de suivre à la trace la fuite du délinquant. En revanche, de l'avis de tous les personnes entendues, la vidéosurveillance est efficace dans les espaces clos et offrant peu d'issues comme les parkings ou les centres commerciaux."

Enfin l'an dernier, la photographe néerlandaise Esther Hovers a testé des programmes de vidéosurveillance intelligente. Elle montre sur un site internet 8 exemples de faux positifs signalés par un logiciel alors qu'ils montrent pourtant des situations banales.

C'est le cas par exemple, de cette personne visiblement en train de faire son jogging et qui traverse la route en dehors du passage piéton.

false positives

Faux positif détecté par un système de vidéosurveillance intelligente (Crédit : Esther Hovers).

Des critiques balayées par Olivier Arsac : "Ces études se basent sur des technologies plus anciennes. Le logiciel qui nous intéresse est un outil dernier cri mis en service seulement depuis 4 mois par IBM".

Au-delà de la question de l'efficacité d'un logiciel d'intelligence artificielle, les élus écologistes de la ville de Toulouse s'inquiètent de l'émergence d'une "police prédictive" : "D'un usage principalement destiné à la dissuasion et à l'élucidation, ce dispositif induirait un basculement de la vidéosurveillance vers un un usage de type 'prédictif', ouvrant la possibilité d'une intervention policière avant même qu'un acte illégal n'ai été commis... ", expliquent les élus par le biais d'un communiqué.

La vidéosurveillance intelligente en plein développement

Toulouse n'est pas la seule ville à s'intéresser à la vidéosurveillance intelligence. Selon Olivier Arsac, Paris, Lyon et Marseille sont également intéressées par le logiciel d'IBM. De son côté, la SNCF a adopté un logiciel d'analyse comportementale visant à "détecter les comportements suspects à partir de divers critères comme le changement de température corporelle, le haussement de la voix ou le caractère saccadé de gestes qui peuvent montrer une certaine anxiété ou encore la détection de bagage abandonné".

À Mexico, la ville a signé dès 2009 un contrat avec Thales pour utiliser des technologies de traitement d'images sophistiquées permettant de sélectionner sur les 7 000 caméras de la ville les scènes correspondant à des actes de violence ou à des comportements suspects. L'entreprise Thales se targue d'avoir permis de faire chuter le délai d'intervention de la police de 12 à 2 minutes depuis l'entrée en service du dispositif.

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