Ce que révèlent les 117 pages du recours contre la privatisation de l'aéroport Toulouse-Blagnac

Déposé vendredi 19 décembre dans le cadre d'un recours contre la privatisation de la société Aéroport Toulouse-Blagnac, le référé suspension sera étudié par le Conseil d'État le 29 décembre à 11h à Paris. Dans les 117 pages du mémoire, l'avocat toulousain Christophe Lèguevaques dénonce des erreurs de droit, des manquements à la procédure d'appel d'offres et critique la Commission des participations et transferts de l'État. Mis en cause au nom de Toulouse Métropole, Jean-Luc Moudenc réagit.
© photo Rémi Benoit

C'est un mémoire de 117 pages que l'avocat Christophe Lèguevaques a présenté vendredi 19 décembre devant le Conseil d'État à Paris. Représentant 23 personnes physiques, associations et syndicats, l'avocat a déposé un recours pour excès de pouvoir contre la décision de privatiser la société Aéroport Toulouse-Blagnac et contre la procédure elle-même, ainsi qu'un référé suspension pour empêcher le transfert des parts de l'État au consortium chinois. Un transfert qui doit avoir lieu avant la fin 2014.

"Le Conseil d'État a fixé l'audience du référé suspension au lundi 29 décembre à 11h. Cela veut dire que notre affaire leur paraît sérieuse, s'est félicité Christophe Lèguevaques. Notre recours est donc recevable. Nous entrons maintenant dans une procédure contradictoire où l'État va à son tour transmettre un mémoire au Conseil d'État pour contredire nos arguments."

En attendant l'audience, le recours des requérants est disponible en ligne. La lecture des 117 pages éclaire les arguments de Christophe Lèguevaques. Après avoir rappelé l'historique d'une procédure initiée le 11 juillet 2014, le recours liste l'ensemble des arguments qui, selon les requérants, devrait aboutir à l'annulation de la décision de privatiser et de la procédure en cours.

Des manquements à la procédure de l'appel d'offres

D'après les requérants, la législation concernant les appels d'offres n'a pas été respectée à plusieurs reprises.

Tout d'abord, SNC Lavalin n'aurait pas dû pouvoir candidater car la société ne remplit pas les conditions d'honorabilité du fait de sa radiation pour 10 ans pour des faits de corruption par la Banque mondiale, rappelle l'avocat en s'appuyant sur la circulaire du 14 février 2012 relative au Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics. Après la publication de cette information dans la presse, la société canadienne a perdu "sa qualité de chef de file" de l'offre sino-canadienne au profit des deux investisseurs chinois (Shandong Hi Speed Group et Friedmann Pacific Investment Group), à partir du 11 novembre. Interdit par le cahier des charges de l'appel d'offres, "ce changement de chef de file est en lui-même un vice de forme et de procédure" selon Christophe Lèguevaques.

Par ailleurs, du fait de leurs implantations dans les Îles Vierges Britanniques et à Hong-Kong, "paradis fiscaux au sens de l'OCDE et de la réglementation fiscales", les deux investisseurs chinois du consortium Symbiose disposent, toujours selon l'avocat toulousain, d'un "avantage anti-compétitif qui fausse l'analyse économique de leur offre et viole le principe d'égalité entre les candidats". Cette caractéristique ne leur permet pas non plus de respecter les "obligations sociales et fiscales" ce qui est pourtant la règle pour candidater à un appel d'offres concernant un marché public.

En outre, le refus par l'État de communiquer le pacte d'actionnaires avec l'acquéreur, et ce même après le choix du repreneur, "ne respecte pas le principe de transparence propre à la procédure", estime Christophe Lèguevaques.

Enfin, toujours en ce qui concerne la procédure d'appel d'offres, les collectivités "prétendument associées au choix n'ont pas eu accès aux différents projets, rappelle l'avocat dans son mémoire. Elles ont dû se contenter de documents établis par l'Agence des participations de l'État pour comparer les offres." Elles n'auraient d'ailleurs pas toutes été logées à la même enseigne selon lui, puisque "la procédure a induit un traitement inégalitaire entre les collectivités locales, dont certaines se trouvent favorisées par rapport à d'autres".

Dans le collimateur de l'avocat : Toulouse Métropole. "Le moment venu, il conviendra de vérifier les raisons du traitement différencié entre les collectivités, écrit Christophe Lèguevaques. Serait-ce dû au fait que Xavier Patier, directeur général des services de la mairie de Toulouse et de la communauté urbaine dispose "d'entrées à Bercy" qui lui ont permis de négocier dès le mois de novembre des contreparties avec le repreneur chinois". On peut lire en effet dans le mémoire du recours que Xavier Patier est issu de la promotion Solidarité à l'ENA, tout comme Inès Mercereau, l'une des membres de la Commission des participations et transferts.

"Tout cela me paraît fumeux, réagit Jean-Luc Moudenc, président de Toulouse Métropole. En quoi le fait d'être de la même promotion, il y a des années, serait-il un problème ? Les collectivités n'ont eu aucun pouvoir de décision. Elles ont été traitées de façon égalitaire. Elles ont reçu le même jour les dossiers transmis par l'Agence des participations de l'État ; ont auditionné ensemble les candidats ; et ont formulé un avis unique commun". Et de conclure : "Je reconnais à ce défaut de sérieux le goût de la polémique politicienne de certains acteurs de ce recours, habitués d'ailleurs à perdre devant les tribunaux après s'être fait mousser dans les médias". "Mon dernier contact avec Inès Mercereau remonte à une dizaine d'années. Et elle le confirmera", affirme pour sa part Xavier Patier.

Erreur de droit et absence d'étude d'impacts

Par ailleurs, l'avocat révèle que l'Ordonnance du 20 août prise par le gouvernement au sujet de l'aéroport "remet en cause les droits des salariés d'une entreprise détenue majoritairement par l'État". Qui plus est, d'après le Code du travail, l'État aurait dû consulter le comité d'entreprise d'ATB "préalablement à sa décision relative au choix du repreneur". En conséquence, l'avocat demande au Conseil d'État de "prononcer la nullité de l'ordonnance", ainsi que de la procédure de privatisation qui en découle.

Les requérants rappellent aussi que le choix de l'acquéreur aura des conséquences sur "l'aménagement urbain, l'organisation des déplacements et des transports, l'environnement, la santé publique, la sécurité des équipements, des utilisateurs, des riverains et la sécurité nationale". En l'absence d'étude d'impact, ils constatent "la violation du Code de l'environnement", et donc "la nullité de la décision du choix du consortium Symbiose".

De plus, l'avocat constate plusieurs violations de la charte de l'environnement, de la loi de mise œuvre du Grenelle de l'Environnement et de celles instaurant la démocratie participative en matière d'environnement.

La Commission des participations et transferts critiquée

Outre les arguments concernant directement l'aéroport de Toulouse, l'avocat toulousain attaque également la Commissions des participations et transferts (CPT), qui n'aurait tenu compte que des aspects financiers de la vente des parts de l'État sans considérer les éventuelles conséquences négatives.

Argument surprenant, le conseil des requérants relève que "sur les sept membres de la CPT, une seule est une femme, ce qui constitue une violation de loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes (...)". Cette composition "irrégulière" de la CPT "affecte ses délibérations, avis et analyses, rendant ces dernières nulles pour vice de forme et de procédure".

Le recours critique ensuite "le tropisme" financier de la CPT, dont "cinq membres sur sept sont inspecteurs des finances ou ont travaillé dans le monde bancaire et financier". Une surreprésentation rendant "impossible l'évaluation de la stratégie industrielle et la prise en compte des conséquences durables de la privatisation".

Par ailleurs, Christophe Lèguevaques met en doute l'indépendance des avis et analyses de la CPT du fait de la présence d'Inès Mercereau, associée-gérante de la banque Arjil&Cie (groupe Lagardère) entre 1995 et 1997. À l'époque, révèle le document, l'établissement de crédit avait recruté Régis Turrini, nommé depuis au poste de Commissaire de l'Agence des participations de l'État le 31 juillet 2014. Pour Christophe Lèguevaques, "il n'est pas conforme aux règles d'indépendance consubstantielles à une autorité administrative indépendante comme la CPT que l'un des membres puisse avoir entretenu des rapports hiérarchiques avec le Commissaire dont elle doit apprécier et contrôler aujourd'hui le travail".

Enfin, l'avocat inscrit au barreau de Paris relève qu'il est impossible de vérifier si "la CPT s'est réellement réunie pour discuter et étudier collégialement les différentes offres", comme l'y oblige le code de la santé publique.

En conclusion, Christophe Lèguevaques annonce qu'il déposera en janvier une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel pour interroger la constitutionnalité de la loi du 20 avril 2005 relative aux aéroports. "Mes arguments devraient conduire le Conseil d'État à considérer que le principe même d'une privatisation des aéroports est contraire à la Constitution", ce qui n'empêche pas une "participation minoritaire au capital et dans le contrôle opérationnel".

D'après le Conseil d'État, le juge des référés donnera "une indication du moment où il rendra son ordonnance à la fin de l'audience publique du 29 décembre, en fonction de l'urgence et du temps dont il aura besoin pour mener à bien son instruction. En pratique, cela peut être entre 48h et un mois."

Contacté en fin d'après-midi, le service presse du ministère de l'Économie n'a pu donner suite à nos demandes.

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Commentaire 1
à écrit le 27/01/2015 à 19:17
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Il est certain que le ronron de nos décideurs locaux va se trouver bousculé dans cette affaire...Si on ne veut pas d'investisseur extérieur, la seule condition est de mettre la main au portefeuille.... alors un peu d'imagination et de stratégie s'imp...

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