[Replay] Startups : le tabou de l'échec enfin levé ?

[Cet article est désormais accessible gratuitement] MoiChef, Atelier Tersi, Fourchette et Bicyclette... Les startups toulousaines n'ont pas hésité ces derniers jours à partager sur les réseaux sociaux leurs difficultés financières. Depuis la multiplication des Failcons en France, une partie du tabou autour de l'échec en entreprise semble être levée. Cet élan de transparence a pour vertu de montrer une vision plus réaliste de l'entrepreneuriat. Mais certains redoutent une glorification de l'échec.
Trois startups toulousaines sont communiqué sur leur échec ces dernières semaines

"Notre startup MoiChef n'a plus d'argent", "Ateliers Tersi tire sa révérence","Fouchette et Bicyclette : un T-shirt ou le crash"... Depuis le début du mois de mai, plusieurs startups toulousaines ont publié des messages alarmants via Facebook pour témoigner de leur situation financière difficile. "Ce phénomène est très nouveau. Jusqu'ici, c'était plutôt l'inverse. Je me souviens d'une startup qui a communiqué de manière très positive dans la presse quelques jours à peine avant de mettre la clé sous la porte de manière très discrète", explique Benjamin Böhle-Roitelet, fondateur de l'accélérateur Ekito et du Failcon de Toulouse.

Un mouvement inspiré des "Failcons"

Cet événement, né dans la Silicon Valley en 2006 avant de se propager en France, est une conférence entièrement consacrée à la thématique de l'échec. Cela permet à une dizaine d'orateurs de partager leurs expériences malheureuses mais aussi d'expliquer comment ils ont appris de leurs erreurs pour finalement les transformer en succès. "Au début, les gens nous disaient : 'Pourquoi ne faites-vous pas plutôt un événement sur le succès ? Les premières années, nous avions d'ailleurs du mal à trouver des sponsors mais ce n'est plus le cas maintenant. Les entreprises ont compris qu'on apprend davantage de ses échecs que de ses succès", poursuit Benjamin Böhle-Roitelet, relevant que plusieurs orateurs du dernier Failcon Toulouse ont été embauchés par la suite dans de grandes sociétés comme Deezer ou OVH.

Car une levée de fonds manquée ou la faillite de sa startup n'a rien de honteux. Selon une étude de la Harvard Business School, 30 à 40 % des startups font faillite et seule une sur 10 parvient à réaliser un retour sur investissement. Pourtant, aussi bien dans les médias qu'au niveau des pouvoirs publics, l'attention est concentrée autour des grandes réussites de startups comme Blablacar, Uber ou les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple). "Il faut des jeunes qui aient envie de devenir milliardaires", avait lancé le ministre de l'Économie Emmanuel Macron en début d'année dernière devant un parterre de startups.

Donner une vision plus réaliste de la vie d'une startup

Mais pour la majorité d'entre eux, la réalité est tout autre. Les deux cofondateurs de MoiChef expliquent par exemple avoir investi 30 000 euros d'argent personnel dans leur startup mais ne se sont pas "pas versés le moindre centime depuis la création de MoiChef" en décembre 2014 :

"Si d'ici la fin de l'année, nous n'augmentons pas suffisamment le chiffre d'affaires de MoiChef, nous ne pourrons pas nous payer, et nous n'aurons plus le chômage. Ce sera donc la fin de cette aventure", avoue ainsi Tristan Laffontas.

Le fondateur d'Atelier Tersi (vente de chaussures haut de gamme) a profité de la fermeture de sa société pour livrer sur Facebook sa vie sans fard de jeune startupper :

"Une aventure entrepreneuriale, c'est assouvir un idéal, à travers un choix de vie, sans concessions, sans faux discours, où l'on paie le prix fort de ses engagements. Des instants euphoriques, d'un bonheur rare. Et des difficultés à affronter, toutes plus dures les unes que les autres. Sans aucun matelas financier personnel et en mettant parfois en péril sa vie sentimentale", écrit-il.

Pourtant, il n'y voit pas un échec : "Toutes les startups n'ont pas vocation à devenir des PME puis des ETI. La croissance oblige à prendre des risques. Parfois, le risque est de faire mourir la startup, et ce n'est pas grave. Crasher sa startup fait partie du cycle de vie de la startup", estime, serein, celui qui vient de mettre fin à une aventure entrepreneuriale de deux ans.

"Le risque est de banaliser l'échec"

Une attitude qui ne satisfait pas tout le monde. "Arrêtons de glorifier l'échec !", exhorte de son côté Kevin Bresson, le responsable des contenus du site 1001 startups. Cet entrepreneur, qui a dû fermer sa société, a analysé le parcours de plus de 200 startups en situation d'échec.

"À force de dire que ce n'est pas grave d'échouer, on a tendance à banaliser l'échec. Le risque est que les entrepreneurs prennent des risques mal calculés, financés par des subventions de l'État, et qu'ils ne prennent pas, au final, la peine de se battre jusqu'au bout pour faire marcher leur société car ils n'ont investi que 10 000 euros de fonds propres."

Kevin Bresson dénonce aussi le développement accéléré de structures d'accompagnement de startups (incubateurs, pépinières, accélérateurs) : "Les conditions d'entrée sont parfois laxistes. Un responsable d'une pépinière à Paris m'a expliqué que ce n'était pas très grave que les startups accompagnées échouent, l'important était de limiter la casse."

Lire aussi : Y a-t-il trop d'accélérateurs de startups ?

Selon lui, il faut que l'"on arrête de pousser tout le monde à la création d'entreprises. Tout le monde n'a pas les épaules, les compétences ou simplement les motivations nécessaires à la réussite d'une entreprise. Les échecs risquent de se multiplier."

Une analyse partagée par Marion Moreau, directrice de la fondation Sigfox et ancienne journaliste chez French Web :

"J'ai beaucoup de respect pour les entrepreneurs. L'entrepreneuriat est un vrai sacerdoce. Je suis assez en colère contre la pensée unique selon laquelle 'tout le monde peut devenir entrepreneur'. La vérité, c'est que l'entrepreneuriat, c'est aussi manger des pâtes pendant des années, c'est beaucoup de sacrifices, d'étapes difficiles à passer. On compte pas mal de séparations et de divorces."

"Redéfinir le succès"

De son côté, Benjamin Böhle-Roitelet estime qu'il faudrait redéfinir la notion de succès :

"Aussi bien dans la presse spécialisée qu'au niveau des responsables de la French Tech, on mesure le succès d'une startup au montant de sa levée de fonds. Certes, cela montre qu'elle a su convaincre les investisseurs. Mais cela témoigne surtout de la distance qui sépare la société de son objectif et c'est la preuve qu'elle a besoin de beaucoup d'argent. On devrait plutôt juger sur le chiffre d'affaires réalisé par la startup."

Encore faut-il que les jeunes sociétés acceptent de dévoiler ce chiffre clé. Même de grandes réussites toulousaines telles que Sigfox ne communiquent pas sur le chiffre d'affaires... Le prochain tabou à lever ?

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