À Toulouse, l'Onera planche sur le vol de drones en zone urbaine

Le laboratoire public de recherche en aéronautique mène actuellement à Toulouse des travaux de simulation sur l'insertion des drones dans le trafic aérien. Les ingénieurs travaillent sur des bulles virtuelles de protection autour des drones qui pourraient à terme sécuriser la livraison de colis, de fret voire le transport de passagers par drone.
Les ingénieurs mènent des travaux de simulation sur l'insertion des drones dans le trafic aérien.

Sur la carte de Toulouse, des dizaines de points convergent vers le centre-ville avant de revenir sur leurs pas, sans jamais se croiser. Ces points, ce sont les drones qui partent des entrepôts de la périphérie toulousaine pour livrer un colis dans l'hypercentre. Cette modélisation ne sort pas d'une œuvre de science-fiction mais d'un travail de recherche qui est mené actuellement à Toulouse par l'Onera. Le centre de recherche en aéronautique dispose depuis 2011 d'IESTA (Infrastructure d'Évaluation de Systèmes de Transport Aérien), un outil de simulation sur ordinateur qui permet de tester diverses hypothèses de trafic aérien en simulant notamment le vol de drones.

Alors qu'Amazon a implanté un centre de R&D en France et que La Poste a ouvert une ligne régulière pour livrer des colis par drone à des entreprises du Var installées dans une zone isolée, la livraison par drone fait l'objet d'un nombre grandissant d'expérimentations. Des projets plus futuristes envisagent même de faire du drone un moyen de transport urbain. Airbus a ainsi présenté Pop Up, un prototype d'engin mi-drone mi-voiture pouvant survoler les zones embouteillées.

Des bulles de protection en 4D

Au-delà de la technique, ces nouveaux projets posent nombre de questions en termes de sécurité pour éviter les collisions de drones dans des zones très densément peuplées. Afin d'y remédier, les ingénieurs de l'Onera à Toulouse ont modélisé et simulé des bulles virtuelles de protection autour des drones.

"Nous travaillons sur des trajectoires 4D, ce qui signifie que nous prenons en compte à la fois la position du drone et sa trajectoire dans le temps. Sur une heure, nous faisons voler des drones à des niveaux d'altitude différents et des horaires de décollage différents vers le centre-ville de Toulouse et nous cherchons à savoir quel volume de trafic (capacité) est envisageable tout en conservant une distance de sécurité optimale pour éviter tout conflit avec un autre drone", expliquent Sébastien Aubry, responsable de l'unité de recherche Systèmes Aéronautiques, et Thomas Dubot, ingénieur de recherche spécialisé dans l'ATM (Air Traffic Management, Gestion du Trafic Aérien).

Le résultat de cette optimisation est visible sur l'animation ci-dessous. Dans ce scénario, le risque de collision est évité en générant des trajectoires assurant une séparation des drones d'au moins 20 mètres sur le plan vertical et 150 mètres sur le plan horizontal. En cas de conflit entre deux drones, l'heure de décollage peut également être décalée de quelques minutes.

Mais cette configuration ne prend pas en compte un certain nombre de facteurs.

"Le jour J, le drone peut avoir une panne, ou une attaque malveillante peut survenir. De telles situations nécessiteraient de séparer les véhicules concernés du reste du trafic aérien. Les conditions météo jouent aussi sur la trajectoire. Ainsi, les îlots de chaleur urbains peuvent changer l'altitude des drones : en survolant un parking par exemple, le drone pourrait avoir une trajectoire ascendante. Les rafales de vent peuvent aussi changer la trajectoire de ce type de drones qui restent des engins légers", poursuit Thomas Dubot.

L'Onera a donc lancé de nouvelles études qui prennent en compte ces changements météo dans le comportement du drone.

Autre problématique, comment gérer la trajectoire du drone en cas de rupture de la communication avec le pilote au sol ? "En cas de coupures de liaison avec le drone, on n'a pas forcément envie d'arrêter l'opération pour autant. Une des solutions simulées est de suivre une procédure hélicoïdale (trajectoire ascendante giratoire, NDLR) pour espérer récupérer un peu plus haut la liaison avec le pilote au sol", avance Thomas Dubot.

Des livraisons premium pour commencer

Au vu de toutes ces interrogations, il peut sembler prématuré d'imaginer de manière massive des livraisons par drone à court-terme."Quand Amazon vient implanter son centre de R&D en France, on a l'impression que tout va être livré par drone dès demain mais il y a un certain effet d'annonce", remarque Maud Dupeyrat, ingénieur de recherche spécialisée dans l'intégration des drones. D'après une étude européenne sur la filière (European drones outlook study, publiée fin 2016), seuls 10% des colis pourraient techniquement être adaptés à la livraison par drone. Maud Dupeyrat s'interroge aussi sur le modèle économique d'une telle activité sachant que livrer par drone implique un surcoût que le client devra payer : "La livraison premium par drone coûte 10 euros en moyenne, ce qui est plus cher que les frais de livraison standard par courrier : est-ce que les gens vont accepter de payer plus cher pour se faire livrer un colis un peu plus vite?"

Sébastien Aubry ajoute : "En plus, il paraît impensable de se faire livrer un colis par drone pour seulement dix euros alors qu'aujourd'hui cela coûte plutôt plusieurs dizaines d'euros. Je pense que cette activité sera réservée à un usage professionnel, davantage que pour la livraison de colis de particuliers." L'étude européenne prévoit que d'ici 2035, 70 000 drones pourraient livrer 200 millions de colis. "On peut aussi imaginer dans un premier temps l'usage des drones de livraison pour des situations d'urgence. Les pompiers s'en serviraient par exemple pour livrer un kit de réanimation à un point. Ce sera plus facilement accepté par la population, et cet usage représente moins de volume de trafic que la livraison de colis commerciaux", fait remarquer Maud Dupeyrat.

Toutefois, les recherches de l'Onera sur les drones pourraient avoir des applications à court ou moyen-terme sur l'aviation classique. "C'est un laboratoire pour tester des degrés d'automatisation plus élevés dans l'aviation classique ou pour les avions cargo (le fret)", estime Thomas Dubot. Mieux prévoir les trajectoires pourrait aussi améliorer le fonctionnement des aéroports, d'autant plus que ces derniers vont être confrontés dans les années à venir à une explosion du trafic aérien. "Il ne sert à rien de faire décoller des avions si l'on sait qu'ils vont attendre à l'arrivée, autant les faire partir plus tard. Une meilleure connaissance des trajectoires permettra de réduire l'impact sur l'environnement des avions, de réduire la consommation de carburant et faire chuter les nuisances sonores pour les riverains vivant à proximité des aéroports", conclut Sébastien Aubry.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.