"L'attention médiatique portée à la voiture autonome est excessive"

Voiture autonome, Hyperloop, drones... Notre société imagine de nouveaux moyens de se déplacer. Pour Jean-Pierre Orfeuil, professeur à l'Institut d'urbanisme de Paris, cette abondance de nouvelles solutions annonce une transition d'une ampleur similaire à celle qui a eu lieu avec l'arrivée du train et de l'auto. Mais les innovation ne règlent pas, à court terme, la question du trop grand nombre de voitures.
Jean-Pierre Orfeuil est professeur émérite à l'Institut d'urbanisme de Paris.

Autopartage, covoiturage, vélo électrique, VTC... Que vous inspire la profusion de nouvelles idées pour se déplacer en ville ?

L'abondance de nouvelles solutions est une bonne nouvelle. On peut se dire que nous allons vers une transition mobilitaire équivalente à celle que nous avons connue entre le XIXe et le XXe siècle. À l'époque, l'explosion de la voiture attelée était devenue insoutenable socialement et écologiquement. L'une des nuisances était de gérer les crottes de cheval qui jonchaient les routes. Pour y remédier, on a cherché à partager les véhicules et à aller vers des véhicules plus petits. Ainsi, vers 1830, on a commencé à mettre en place des transports collectifs, toujours en voiture à cheval. À partir de 1875, des aides publiques ciblées avec des tarifs ouvriers permettent aux classes populaires d'habiter à l'extérieur des villes tout en disposant d'un moyen de transport pour se rendre au travail. De nouvelles technologies comme le rail et des innovations de rupture comme le vélo ou l'automobile à la fin du siècle ont permis de fournir de nouvelles solutions de mobilité. L'auto avait aussi l'avantage de prendre quatre fois moins de place qu'une voiture à cheval.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une problématique similaire. L'usage de la voiture est perçu comme insoutenable socialement et écologiquement mais la mobilité urbaine est toujours nécessaire. Là encore, on opte pour le partage en favorisant le covoiturage, via aussi l'autopartage ou le recours à des VTC type Uber. Des innovations de rupture sont également en projet avec, par exemple, la voiture autonome.

L'histoire ne fait finalement que se répéter ?

Ce qui est radicalement nouveau, c'est l'apport d'information. Le covoiturage a toujours existé mais il est beaucoup plus facile d'opter pour ce mode de transport depuis l'apparition du smartphone.

Vous relevez également un changement récent : l'augmentation du coût que représente les transports collectifs pour les collectivités. Est-ce que cela remet en cause le modèle économique de la LGV ou des grands projets de métro comme ceux qui existent à Toulouse ?

Le coût du transport public a augmenté plus vite que le cours de l'inflation. Les transports collectifs représentent actuellement environ 30 milliards d'euros de dépenses annuelles en France, soit 1,6 % du PIB (1 100 euros par ménage) alors que dans les années 2000, cela représentait plutôt 1 % du PIB annuel. Les usagers ne se rendent pas compte de ces hausses car ils ne contribuent qu'à une part infime du coût des transports collectifs, cette somme est inférieure au ticket modérateur de la Sécurité sociale qui est de 2,78 euros. Le gros de ces dépenses est supporté par les employeurs via le versement transport et par les collectivités locales.

Concernant la LGV, la commission Duron a recommandé dans son rapport d'arrêter le tout-TGV en proposant de boucler les projets existants et de ne plus lancer de nouveaux projets. Le président de la SNCF est d'accord avec ça mais, paradoxalement, le projet de métro autour du Grand Paris, chiffré à plus de 30 milliards d'euros, a été validé.

Parmi les nouvelles solutions de mobilité, certaines sociétés comme Easymile à Toulouse planchent sur des navettes autonomes pour assurer le dernier kilomètre entre l'arrêt de transport en commun et son lieu de travail. Ce type de solution a-t-il un avenir ?

Augmenter l'espace d'influence d'un arrêt de transport public en utilisant des navettes autonomes me paraît très intéressant. Ces véhicules autonomes se développeront dans certains contextes adaptés. Par contre, l'attention médiatique qui est portée à la voiture autonome me paraît excessive. On focalise sur ces nouveaux produits mais ce n'est pas ce type de solution qui va enlever des millions de voitures des routes.

Que pensez du projet de la société Hyperloop TT qui veut s'installer à Toulouse et lancer des capsules dans un tube sous vide à plus de 1 000 km/h ?

Les capsules peuvent transporter peu de passagers, elles ont de très petites capacités (chaque capsule pourra embarquer 28 à 40 passagers, NDLR). Et, sachant qu'elles vont très vite, il faudra espacer les trajets pour des questions de sécurité. L'autre question est celle de l'acceptabilité sociale : auriez-vous envie de voyager dans un tunnel sous vide ? De toute manière, on parle de transporter quelques dizaines de personnes alors qu'il y a quelques dizaines de millions de voitures en circulation. Mon sentiment est que l'hyperloop fait partie des rêves technologiques mais ces derniers auront peut-être des retombées d'une autre manière dans le secteur des transports.

De la même manière, on entend beaucoup parler du véhicule connecté. Mettre un badge sur une voiture et se servir de la localisation GPS pour fournir des données et des services, c'est très facile et nous sommes déjà capables de le faire techniquement. Mais il reste des réticences sociétales qui en freinent l'essor. La smart city vue comme indépendante des forces sociales est un leurre. En revanche, il est évident que certaines technologies développées dans les smart cites devraient réussir à passer un accord avec la société.

Quelles sont alors, selon vous, les solutions adaptées pour réduire l'usage de la voiture ?

Les nombreuses alternatives au véhicule personnel peineront à sortir de la marginalité tant que les transports publics resteront fortement aidés et que le coût de la voiture personnelle ne sera pas significativement augmenté. On peut imaginer d'interdire la voiture un jour sur cinq, puis deux jours sur cinq. Une autre solution serait d'augmenter le tarif du stationnement ou des péages.

Je pense qu'il existe également un panel de solutions inexplorées notamment dans le petit véhicule urbain, type vélo ou scooter. Par exemple, j'ai vu un postier utiliser un tricycle électrique qui peut transporter les contenus d'achats d'un supermarché, cela fait partie des solution dans l'espace des possibles.

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