Pour le Cnes, "toute activité humaine utilise ou utilisera des données spatiales"

Le Cnes a créé en début d'année 2016 une direction Innovation, applications et science, dirigée par Lionel Suchet à Toulouse. Son objectif : structurer les actions menées par le Centre national d'études spatiales pour faire face aux changements que connaît le secteur. En effet, "le spatial s'ouvre de plus en plus à l'homme de la rue et au quotidien".
Lionel Suchet est directeur Innovation, applications et sciences du Cnes

"Pour moi, le New Space est une évolution rapide, voire une révolution. C'est clairement un changement d'ère." Lorsque l'on interroge le nouveau directeur Innovation, applications et science du Cnes, ses yeux pétillent. Lionel Suchet est un passionné et, lorsqu'il est lancé sur cette évolution du secteur spatial que représente le New Space, avec l'arrivée de nouveaux acteurs et des changements de modèle économique, il est intarissable. Selon lui, aujourd'hui, l'ère des pionniers, débutée il y a 50 ou 60 ans, est définitivement terminée. Une période de "démonstration technologique" visant à tester du matériel, à voir ce qui était possible, dominée en grande partie par des enjeux stratégiques (défense et sciences) et des missions étatiques.

Le secteur spatial se limitait alors à "une petite communauté très ciblée avec des missions dédiées à cette communauté", rappelle Lionel Suchet. Ces missions ont permis de récolter de plus en plus de données, de mesurer de plus en plus de paramètres, offrant une vision nouvelle de la planète.

"La mer monte en moyenne de 3,2 mm par an au niveau mondial. Mais si on met un marégraphe dans le port de Marseille, un à San Francisco et un en Asie du Sud-Est, vous observez des niveaux d'eau qui montent, et d'autres qui baissent. On ne comprend rien, explique Lionel Suchet. Mais le fait de voir la planète dans son ensemble, ça ouvre d'autres fenêtres."

Les applications, l'avenir du spatial

Ainsi, de nos jours, les possibilités offertes par l'espace semblent infinies. Le nombre de lancements explose, les satellites en orbite autour de la Terre sont de plus en plus nombreux et, grâce à cela, notre planète est observée, scrutée, analysée et couverte en réseaux de télécommunication. En effet, "en même temps que se développaient ces missions scientifiques, on s'est rendu compte que toutes ces données pouvaient servir à des services et des applications", pointe le directeur Innovation, applications et science.

"Le spatial s'ouvre de plus en plus à l'homme de la rue et au quotidien. J'irai même jusqu'à dire que toute activité humaine à laquelle on peut penser utilise ou utilisera très prochainement des données spatiales", amplifie Lionel Suchet pour démontrer l'importance de ces nouveaux débouchés.

Lionel Suchet, Cnes


Lionel Suchet dans son bureau du Cnes (© photo Rémi Benoit)

Les services représentent ainsi 80 % de l'activité spatial au niveau mondial. Météo et géolocalisation sont les premières applications qui viennent à l'esprit alors que nous utilisons en moyenne 30 satellites par jour. Mais les utilisations sont innombrables. "Cela va de la gestion des ressources halieutiques ou des pollutions marines au BTP - on sait suivre par interférométrie radar, depuis l'espace, des déplacements de quelques millimètres de structures au sol - en passant par l'agriculture", énumère Lionel Suchet.

Selon lui, cette explosion des services est un des éléments fondamentaux de la révolution en cours au niveau du spatial. Il faut aujourd'hui transformer un maximum de données spatiales afin de les mettre à disposition de nouvelles communautés d'usage qui n'ont rien à voir avec le spatial. Cette démocratisation du spatial est déjà à l'œuvre et celui-ci "va devenir de plus en plus transparent pour l'utilisateur".

"Prendre en compte les besoins des utilisateurs"

C'est dans cette logique que le Cnes a créé la direction Innovation, applications et sciences début 2016. "Nous avons voulu regrouper toutes les interfaces vers les utilisateurs du spatial pour prendre en compte leurs besoins. Nous avons ainsi des relations avec les utilisateurs classiques du spatial (sciences, télécoms, navigation) mais aussi avec de nouvelles communautés d'usage", détaille son directeur. L'exemple du partenariat signé avec la SNCF illustre cette volonté.

"Nous avons également une structure innovation au sein de la direction, qui ne s'intéresse pas qu'aux innovations technologiques mais aussi aux innovations d'usage, aux méthodologies, à la façon de travailler avec l'extérieur, poursuit-il. Nous devons travailler avec des startups et les intégrer dans la démarche globale du spatial. Jusqu'à présent, nous avions une supply chain très limitée en nombre d'interlocuteurs, un monde assez fermé, qui pourrait bien s'ouvrir et s'enrichir de nouveaux entrants très rapidement." Et, selon le chercheur, "il y a de la place pour tous. À la différence des infrastructures, le ticket d'entrée sur le marché n'est pas très élevé et les startups peuvent avoir un rôle à jouer."

Alors que l'écosystème toulousain est porté à 80 % par le marché des infrastructures, l'objectif sous-jacent est donc de diversifier l'activité et de rendre les entreprises locales compétitives. "On entre là dans le monde des services, de la compétitivité, où il faut baisser les coûts des systèmes, des services...", analyse Lionel Suchet.

"Le monde des satellitiers à un rôle crucial et primordial à jouer dans ce New Space. La compétence qu'ils ont doit permettre de développer ces nouvelles voies qui s'ouvrent devant nous. Mais ces nouvelles voies, il faut qu'ils les parcourent avec de nouvelles méthodes de travail, des ouvertures vers l'extérieur."

Avec la multiplication des constellations de satellites, les modes de production évoluent. Et ces galaxies de satellites interconnectés sont au cœur des nouveaux besoins. Ainsi, alors que deux satellites sont aujourd'hui suffisants pour observer tous les points de la planète une fois par jour, demain, face à l'évolution des services, il faudra mesurer certains paramètres toutes les heures, voire toutes les minutes.

Pour permettre à Toulouse de conserver sa position de leader dans le spatial, le Cnes mise donc sur l'interdisciplinarité et sur l'innovation en collaboration avec les grands acteurs. "Nous travaillons au quotidien avec les grands industriels pour des roadmap technologiques d'aide à la compétitivité, de positionnement...", détaille Lionel Suchet. L'idée est de les accompagner dans leur montée en compétence, en baissant les coûts dans certains secteurs tout en maintenant un niveau de R&D suffisant pour se positionner sur des technologies de rupture.

"La nouvelle génération de satellites Swot, conçue par Thales Alenia Space, va utiliser l'interférométrie pour mesurer la hauteur de l'eau sur les étendues d'eau douce. Un enjeu important qui sera monitoré depuis l'espace grâce à une technologie du Cnes et du JPL (le laboratoire de la Nasa, NDLR)", éclaire Lionel Suchet pour illustrer le rôle du Cnes.

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