Chimie, biologie, robotique, qui sont les futurs grands noms de la recherche à Toulouse ?

Prévenir Alzheimer, lutter contre le cancer, fabriquer des robots plus agiles et capables d’interagir... Âgés de 32 à 40 ans, six chercheurs prometteurs du CNRS repoussent les limites de leurs sciences à Toulouse. Qui sont-ils ?
De haut en bas et de gauche à droite : Nicolas Mansard, Magali Suzanne, Emiliano Lorini, Gaëlle Legube, Christelle Hureau et Angie Molina Delgado

Chasseuse d'Ions métalliques

À 40 ans, Christelle Hureau dirige sa propre équipe en chimie biologique au sein du Laboratoire de chimie de coordination du CNRS depuis 2011. Son champ d'étude : le rôle des ions métalliques dans l'apparition de la maladie d'Alzheimer. "Certains organes comme le cerveau ne peuvent être remplacés, souligne-t-elle. Pour bien vieillir, il faut donc s'intéresser à l'origine de cette maladie très complexe."

Présents naturellement dans l'organisme, ces ions métalliques ont un rôle positif ou négatif en fonction de leur environnement.

"Quand ils sont associés à un peptide, ils provoquent du stress oxydant et créent des radicaux libres. Ces molécules chimiques s'attaquent aux neurones et les tuent, explique la scientifique médaillée de bronze du CNRS en 2012. Or, on observe des concentrations d'ions métalliques dans les plaques séniles des cerveaux malades d'Alzheimer."

Comprendre comment se concentrent ces ions métalliques permettra aux chercheurs de concevoir des médicaments permettant de les détoxifier. "Maintenant que nous savons comment cela fonctionne, nous allons chercher une solution", annonce la lauréate du prix junior de la société chimique de France en 2013, qui a reçu une bourse du Conseil européen de recherche pour financer ses travaux.

À plus long terme, ces recherches pourraient aussi servir pour d'autres pathologies comme Parkinson et le diabète. Une étude sur ce sujet sera en partie développée à l'ITAV, sur l'Oncopole de Toulouse.

Réparatrice d'ADN

Gaëlle Legube, 40 ans également, s'intéresse de près aux cassures d'ADN, des événements qui arrivent 10 000 fois par jour dans notre corps.

"Toutes les cellules peuvent les réparer rapidement grâce à des 'machines moléculaires' de réparation. La communauté scientifique commence seulement à comprendre l'influence de la chromatine, un ensemble de protéines qui enveloppent l'ADN de nos cellules, dans ces processus, explique-t-elle. Nous avons démontré que les cellules pouvaient réparer leur ADN de façon plus ou moins fidèle et énergivore en fonction de l'importance de la région du génome endommagée, et ceci grâce à la chromatine."

Un fait important car certains cancers sont générés par une mauvaise réparation de la cassure.

Cette découverte a été rendue possible par la mise au point, après 4 ans de recherche, d'un système cellulaire de cassures ciblées de brins d'ADN. "Avant, on irradiait des cellules et on obtenait des cassures aléatoires. Maintenant, nous contrôlons ce processus. Cela a changé les choses pour nous et, plus globalement, pour de très nombreux laboratoires dans le monde qui utilisent ce procédé", se réjouit Gaëlle Legube.

Cet outil inédit a permis à la chercheure d'obtenir des financements et des collaborations pour créer en 2011 sa propre équipe indépendante au sein du laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire du contrôle de la prolifération (LBCMCP/CNRS).

Démographe cellulaire

Magali Suzanne étudie l'apoptose, c'est-à-dire le suicide des cellules. Ce processus d'autodestruction permet de réguler le nombre de cellules ou d'éliminer celles dangereuses pour l'organisme. Plus précisément, la biologiste du Centre de biologie intégrative de Toulouse s'intéresse à l'influence de ce suicide cellulaire sur son environnement.

"Nous avons découvert que les cellules sont encore très actives au cours de leur destruction et qu'en tirant sur les cellules voisines au moment de leur mort, elles créent une tension qui se propage dans l'ensemble du tissu. Cela peut aller jusqu'à provoquer un changement de forme de l'ensemble du tissu", explique-t-elle.

Après quatre années d'études pour mettre en évidence ce phénomène, Magali Suzanne et son équipe de 9 chercheurs bénéficient depuis l'an dernier d'un financement du Conseil européen de la recherche pour comprendre exactement comment se déroule ce mécanisme. Ces recherches pourront avoir plusieurs applications à long terme, notamment dans la lutte contre le cancer.

"L'apoptose est un mécanisme naturel de défense contre le cancer. Or, les cellules cancéreuses savent le contourner. En comprenant mieux ce phénomène, nous pourrons savoir comment les cellules cancéreuses s'y prennent." Et les en empêcher.

Cultivatrice de moelle épinière

À 32 ans, Angie Molina Delgado est l'une des plus jeunes chercheures repérées (et mises en avant) par le CNRS. Lauréate en octobre dernier de la bourse nationale L'Oréal-Unesco pour les femmes et la science, cette "post-doc" colombienne travaille sur les cellules de la moelle épinière.

"J'étudie comment les cellules souches neurales se comportent dans une structure qui deviendra la moelle épinière. L'objet de mes recherches est de déterminer quand et comment une cellule souche devient un neurone."

Son hypothèse ? Les cycles cellulaires durent plus ou moins longtemps en fonction de la production d'une nouvelle cellule ou d'un neurone.

À terme, ses recherches pourraient faire progresser les traitements des lésions de moelle épinière. "Si nous sommes capables d'expliquer comment la cellule devient un neurone, on pourra fabriquer ces neurones à partir de greffes de cellules souches neurales, assure la jeune chercheure. Dans un monde idéal, j'aimerais ensuite chercher comment réaliser ces greffes, mais je sais que, de la paillasse au patient, le chemin se mesure en dizaines d'années."

Chorégraphe robotique

Son domaine : la robotique. Sa spécialité : la génération et le contrôle des mouvements. Nicolas Mansard, 35 ans, travaille au Laas (Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes) au sein de l'équipe Gepetto depuis 2008. L'an dernier, son équipe a progressé dans la locomotion multi-contact.

"Nous avons réalisé un algorithme de planification des déplacements dans un environnement où le robot doit s'aider de ses mains pour avancer, comme une échelle par exemple, explique le lauréat d'une médaille de bronze 2015 du CNRS. Nous allons travailler maintenant sur l'exécution. Nous souhaitons que notre robot se déplace sans intervention humaine dans un environnement étroit qu'il viendra de découvrir."

De l'aveu de Nicolas Mansard, cette nouvelle étape, qui pourrait aboutir d'ici un an, place le Laas derrière les résultats présentés par Boston Dynamics, l'entreprise rachetée par Google. "Ce sont les meilleurs du monde, reconnaît-il, mais les récentes vidéos qu'ils ont diffusées (qui ont fait le buzz, NDLR) sont des opérations de communication. On ne sait pas dans quelle mesure exactement ils sont capables de répéter leurs performances."

Qu'ils soient américains, européens ou asiatiques, les robots mobiles ne sont cependant pas encore prêts à sortir de leurs laboratoires. "Des robots à plusieurs pattes seront utiles à l'industrie manufacturière, mais je ne les vois y arriver qu'à moyen terme, estime Nicolas Mansard. Technologiquement, c'est possible, mais il manque encore une filière et des moyens, surtout en France."

Modélisateur d'émotions

À Toulouse depuis 2007, Emiliano Lorini est un spécialiste de l'intelligence artificielle. Ce chercheur de 39 ans cherche à modéliser le fonctionnement de l'esprit humain.

"Après le concept de l'intention que j'ai étudié pour ma thèse en 2007, j'ai travaillé sur les émotions humaines, explique-t-il. L'idée est de les modéliser pour les implémenter dans des machines émotionnelles. Il pourrait s'agir d'agents virtuels sur internet, dans des programmes éducatifs ou de simulation par exemple, mais aussi d'agents non-virtuels tels que des robots."

Ce théoricien s'intéresse également à l'éthique robotique. "Les drones, militaires notamment, sont de plus en plus autonomes. Veut-on leur apporter un raisonnement éthique pour qu'ils distinguent le bien du mal ? Va-t-on les rendre sensibles à des notions de culpabilité ?", s'interroge Emiliano Lorini.

Plus récemment, le chercheur italien s'est aussi penché sur la diffusion des opinions sur les réseaux sociaux. "Établir un modèle permettra de diffuser efficacement des messages pour sensibiliser et influencer la population sur des thématiques importantes. Cela permettrait de mieux comprendre certaines manipulations sur les réseaux sociaux", estime-t-il.

Chargé de recherche à l'Institut de recherche en information de Toulouse, il codirige le laboratoire Logique interaction langue et calcul (Lilac), une équipe de 28 personnes. Pas assez cependant pour implanter ses modèles théoriques dans des machines. "Je n'ai pas assez de programmateurs et il nous faudrait des journées de 48 h, s'exclame-t-il. J'espère que, dans 10 ans, mes théories seront mises en pratique."

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