La scène se passe quelques semaines en arrière. Quatre retraités toulousains sont réunis pour un atelier au Multiple, l'espace collaboratif qui accueille le fablab Artilect et l'espace de coworking Imaginations Fertiles. Le thème du jour est l'aménagement de la cuisine. Pendant deux heures, les personnes âgées sont invitées à trouver des solutions pour améliorer leur quotidien. Un des participants explique ses difficultés à porter à bout de bras une casserole remplie d'eau, il a donc installé chez lui un tuyau relié au robinet pour remplir directement sa marmite en fonte. Dans l'assistance, d'autres veulent trouver une alternative moins discriminante au monte-escaliers ou au déambulateur.

Il s'agissait du premier atelier organisé dans le cadre du projet "Maintien en Autonomie des Personnes Âgées". Porté par la coopérative de sociologues toulousaine Scool, Artilect et les Imaginations Fertiles, ce projet a été lauréat en 2015 du concours Silver économie lancé par le Conseil régional Midi-Pyrénées dans le cadre de l'appel à projets Easynov et doté de 150 000 euros. Cette démarche est inédite car pour la première fois ce sont les retraités eux-mêmes qui vont concevoir des produits et des services plus adaptés à leur quotidien autour de trois thèmes prioritaires : l'alimentation, la mobilité et les loisirs.

Dans un premier temps, à partir du mois de septembre 2015, 5 sociologues ont été reçus au domicile d'une vingtaine de personnes âgées. "Elles étaient toutes âgées de plus de 60 ans, certaines habitent Toulouse mais nous sommes aussi allés à Tarbes (Hautes-Pyrénées), Cahors (Lot), Auch (Gers) ou Carmaux (Tarn), explique Laurence Cloutier, sociologue membre de Scool. C'est important d'aller au-delà des zones urbaines car les questions de mobilité ne se présentent pas de la même manière en zone rurale, notamment pour aller faire ses courses, par exemple."

75 ans, l'âge du basculement

De ces premiers entretiens, plusieurs enseignements se dégagent. "Il existe un point de basculement à l'âge de 75 ans. Les personnes âgées perdent en autonomie, celles qui conduisaient peuvent, par exemple, réduire ou arrêter la conduite", remarque le sociologue Pierre Dufour.

Cette approche sociologique a un autre mérite, elle apporte un autre regard sur la silver économie :

"Cela permet d'éviter de tomber dans l'écueil médico-social et de se focaliser sur des solutions techniciennes, poursuit-il. On touche du doigt des problématiques plus abstraites comme le plaisir de manger. À partir d'un certain âge, avec le manque de compagnie, les seniors peuvent connaître des pertes d'appétit et avoir du mal à faire leurs courses. Le médecin ou les proches choisissent parfois de faire livrer au domicile des retraités des paniers repas mais les plats ne correspondent pas toujours à leurs goûts et habitudes alimentaires. On ne répond pas à leurs besoins."

Les astuces des seniors serviront à réaliser de véritables prototypes

Ces entretiens vont se poursuivre et, en parallèle, depuis le mois de février, des ateliers en groupe sont organisés dans plusieurs villes de la région.

"On sait que les personnes âgées arrivent à développer des astuces pour maintenir leur autonomie, remarque Adrien Gautier, ingénieur à Artilect. L'intérêt des ateliers est de pouvoir partager avec tous les participants ces astuces mais aussi d'aller plus loin et faire de ces astuces un véritable produit ou un service qui pourrait être plus efficace et véhiculé à plus grande échelle. On fera ensuite appel à des experts pour aller jusqu'à réaliser des prototypes."

À plus long terme, cette démarche pourra également être une source d'inspiration pour les entrepreneurs. "L'objectif est de répondre aux besoins d'une population locale en faisant appel à des artisans ou des startups locales", explique Julie Jodet, cofondatrice d'Imaginations Fertiles, qui accueille des porteurs de projet dans le domaine de l'économie sociale et solidaire (ESS). Les ateliers permettront par ailleurs de faire un banc de test des technologies existantes en matière de silver économie (détecteur de chute, système de téléassistance) pour en déceler les avantages et points d'amélioration.

"L'enjeu est de faciliter le maintien à domicile des personnes âgées, pour celles et ceux qui le souhaitent bien évidemment, en prenant en compte toute la chaîne des acteurs concernés par cette problématique", conclut Laurence Cloutier.