Mustapha Derras : "la Smart city, c'est une réappropriation de la ville par les individus"

Directeur des technologies, de la recherche et de l'innovation chez Berger-Levrault, Mustapha Derras porte un regard atypique sur la Smart city. Pour lui, la ville intelligente ne doit pas être centrée uniquement autour de l'innovation technologique. Face à l'émergence d'acteurs privés il estime que les villes doivent mettre l'accent sur l'accès équitable aux services publics.
Mustapha Derras, directeur des technologies, de la recherche et de l'innovation chez Berger-Levrault.

Pourquoi selon vous, la Smart city ne doit pas être pensée uniquement en termes de capteurs et de nouvelles technologies ?

L'appellation Smart city a été imaginée à l'origine par IBM il y a une dizaine d'années. Elle a été traduite littéralement en français sous le terme de ville intelligente. Or, cette notion est de plus en plus décriée puisque ce ne sont pas les villes mais les gens qui sont intelligents. On doit arrêter de se concentrer sur la technologie : une intelligence artificielle au cœur de la ville ne va pas régler tous nos problèmes. Il faut recentrer nos efforts sur les technologies au service des citoyens. La Smart city, c'est une réappropriation par les individus de la ville.

 Comment y parvenir ?

Les comités de quartier peuvent avoir un rôle en organisant une citoyenneté locale, en animant les débats et en amenant des propositions à la collectivité qui est l'arbitre en dernier ressort. Mais il faut rendre les clés de la ville aux individus.

Des outils numériques ont émergé pour davantage intégrer les citoyens aux décisions stratégiques des villes (à l'image du service toulousain de référendum en ligne baptisé MyOpenCity). Est-ce que ces technologies peuvent aider à remettre les citoyens au cœur de la ville ?

C'est une belle utopie mais dans les villes qui ont testé par exemple le budget participatif les résultats sont décevants. La technologie existe depuis 20 ans mais le problème est que la plupart des habitants n'ont pas envie de s'impliquer dans la vie de la cité. Si seulement 4% de la population prend part à une consultation municipale, cette dernière n'est pas représentative.

 À Barcelone, la ville pionnière en matière de ville intelligente, les acteurs privés sont à l'origine d'une grande partie des expérimentations menées dans la capitale de la Catalogne. Y a-t-il un risque de privatisation des métropoles ?

On peut d'abord questionner les missions de la ville. Est-il normal que la ville fasse tout ? Je ne crois pas et puis elle ne peut plus puisque les caisses des collectivités locales sont vides. Les institutions doivent faire évoluer leurs missions, la ville doit se reconfigurer pour veiller surtout au bien-être de tous, à l'inclusivité.

Les transports par exemple doivent permettre aux personnes âgées, aux handicapés, autrement dit à tout le monde de se déplacer dans la ville. Son rôle n'est peut-être pas de faire et de financer les transports mais de s'assurer qu'ils toucheront tous les quartiers, que certains ne seront pas délaissés. En d'autres termes, elle est le gardien de la mission de service public. Il faudrait peut-être que les villes commencent à le comprendre. Cela ne signifie pas qu'il faille réduire le nombre de fonctionnaires. Il faut plutôt réaffecter les moyens là où c'est nécessaire.

Peut-on imaginer à terme un standard Smart city, autrement dit qu'on transpose des initiatives de villes très avant-gardistes en la matière comme Barcelone à Toulouse par exemple ?

 Pour reprendre les propos d'un confère : il n'y a rien de plus qui ressemble à une ville  qu'une autre ville mais il n'y a rien qui ressemble moins à une ville qu'une autre ville. Certaines fonctionnalités peuvent être transposées, notamment tout ce qui relève des outils purement logiciels. Par exemple le fait d'interagir avec sa collectivité via un portail d'échanges (par SMS, chat ou blog) peut être dupliqué. De la même manière, il est possible de reproduire les solutions de déploiement de capteurs de qualité de l'air ou de l'eau (à Anvers, des véhicules de livraison sont dotés de capteurs de qualité de l'air, ce qui permet de détenir en temps réel les émissions de particules fines, NDLR). En revanche, si vous touchez aux transports, c'est plus compliqué. Prenez une ville comme Bordeaux les phénomènes d'inondation sont plus fréquents et empêchent la comparaison avec Toulouse. On peut généraliser les fondamentaux technologiques c'est leur mise en œuvre qui est spécifique dans chaque ville.

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