Parc immobilier, innovation pédagogique, Idex : Toulouse reconstruit son université

Régulièrement classée dans le top 3 des villes étudiantes en France, Toulouse peine à faire reconnaître son excellence à l’international. Elle compte pourtant plus de 130 000 étudiants, trois universités et de nombreuses écoles d’ingénieurs. Bloquée ces dernières années dans des problématiques d’organisation et de gouvernance, l’Université de la capitale occitane multiplie les projets pour être visible et audible. Notre dossier complet est à retrouver en kiosques actuellement, dans l'édition Toulouse de La Tribune.
Toulouse reconstruit son université, sur le fond et la forme

Il y a quasiment un an, le 9 mai 2016, à la tombée du jour, dans l'une des salles de cours les moins vétustes de Sciences Po Toulouse, Philippe Raimbault, alors directeur de l'IEP, réunit quelques collègues et journalistes. Peu habitué à se mettre en avant, le timide universitaire a une annonce à faire. "Je suis candidat à la présidence de l'Université de Toulouse." Son objectif : "Repositionner l'université en bonne place dans le classement de Shanghai". Son projet : "Reconquérir l'Idex".

Ces deux enjeux sont au cœur des discussions et des désaccords qui animent la communauté universitaire locale depuis plusieurs années. Mais pour Philippe Raimbault, qui a depuis été élu sans difficulté, l'Université de Toulouse a assez attendu. Engagée dans une compétition mondiale entre universités, c'est pour elle une nécessité, voire une urgence, de se réformer, avec ou sans Idex. Le calendrier lui donne alors un coup de pouce : 2016 est également l'année du renouvellement des présidences des universités toulousaines (Daniel Lacroix prend la présidence de l'université Toulouse 2 Jean-Jaurès ; Jean-Pierre Vinel celle de l'université Toulouse 3 Paul-Sabatier et Corinne Mascala celle de l'université Toulouse 1 Capitole). La "nouvelle" Université de Toulouse passe(ra) par plusieurs grands chantiers : une gouvernance davantage intégrée, la rénovation du patrimoine immobilier et l'innovation pédagogique.

L'Idex et Toulouse, la discorde

Le mercredi 15 mars, toute la communauté universitaire de Toulouse a accompagné Philippe Raimbault dans son "ouf !" de soulagement. La Ville rose peut recandidater à l'Idex. C'est une lettre du Commissaire général aux investissements qui l'a annoncé. Un soulagement, mais une première étape seulement vers la reconquête du label. Derrière l'acronyme (pour Initiative d'excellence) se cachent en réalité plusieurs millions d'euros (25 millions d'euros par an promis pour Toulouse). Le label vise à faire émerger une dizaine d'universités de rayonnement mondial en France, que ce soit au niveau de leur impact scientifique ou de la qualité de la vie étudiante. Autre objectif, contesté mais immuable : figurer en bonne place dans le classement de Shanghai, palmarès qui fait la pluie et le beau temps des universités dans le monde.

Actuellement, seules UT3 Paul-Sabatier et Toulouse School of Economics (TSE) y figurent (entre la 201e et la 300e place seulement). Depuis dix ans, le calendrier du label Idex fait stresser les universitaires et la tension est à son comble au moment de l'annonce des universités sélectionnées ou exclues du label. Toulouse connaît bien ces sueurs froides puisque son université a échoué en 2011, a été lauréate en 2012 (elle signe la convention attributive des fonds en 2013), mais s'est vu retirer l'Idex en 2016. Après avoir remanié son projet, elle est finalement autorisée à repasser devant le jury international d'ici un an, le temps de consolider son dossier. Au cœur des débats, la question de la gouvernance.

Lire aussi : L'Idex à Toulouse, chronologie de 7 ans de discorde

Alors que le jury international chargé d'attribuer l'Idex affiche sa préférence pour une fusion des différentes entités (universités et écoles), le site de Toulouse, complexe de par la diversité de ses composantes, a toujours préféré un mode de gouvernance plus proche de la fédération d'universités, mais qui n'a jamais convaincu. "Le premier projet Idex, en 2011, n'a pas abouti car il proposait une gouvernance quasi-dictatoriale", assure un proche du dossier. "C'était un projet offensif, avec un conseil restreint", nuance un autre, toujours sous couvert d'anonymat. En 2016, c'est un modèle "sans désir ni intention d'évoluer vers une université de recherche intégrée" que dénonce le jury international. Le modèle qui a finalement été présenté  début 2017 tente de faire la synthèse entre gouvernance unique et respect des pouvoirs en place.

Lire aussi : Idex : la gouvernance, casse-tête de l'Université de Toulouse

Une université à deux vitesses ?

Le projet présenté par Philippe Raimbault au jury international Idex, au Commissaire général aux investissements et au ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche est unique en France et répond aux enjeux du site toulousain. Afin de respecter des identités et des calendriers propres à chaque établissement, tout en créant une bannière commune "Université de Toulouse", Philippe Raimbault a proposé la création d'un établissement expérimental,
"à mi-chemin entre le grand établissement et la Comue [modèle actuel, NDLR], pour le maintien des personnalités juridiques". Ainsi, il a été décidé que deux niveaux d'intégration seraient possibles : un "noyau dur" de membres intégrés pour ceux qui acceptent de partager un ensemble large de compétences et qui auront vocation à abandonner leur personnalité juridique. Viendrait ensuite un "deuxième cercle" de membres qui acceptent de partager un socle de compétences fondamentales (élaboration des stratégies, intégration de la recherche et diplomation), mais ne souhaitent pas adhérer aux compétences en matière de flux financiers, de RH et, surtout, qui n'envisagent pas d'abandon de la personnalité juridique.

Parmi ce deuxième cercle figure notamment l'université Toulouse 1 Capitole, ce qui ne manque pas d'irriter plusieurs parties  prenantes du dossier : "C'est aberrant, UT1 Capitole a tout à perdre avec cette logique-là", entend-on dans les couloirs de l'université. "UT1 mise beaucoup sur l'effet Jean Tirole [Prix Nobel d'économie 2014] pour mettre en valeur son identité, mais Jean Tirole n'est pas UT1 et Jean Tirole ne sera pas toujours là", commente même un élu local. "En résumé, l'université Capitole souhaite un établissement élitiste, porté par TSE", souffle Daniel Lacroix, président de l'université Jean-Jaurès. À noter d'ailleurs que TSE figure au classement de Shanghai, et pas UT1.

Mais pour la présidente d'UT1 Corinne Mascala, hors de question d'opérer ce qu'elle considère comme une fusion : "La richesse d'un site, c'est sa diversité. Je ne suis pas favorable à l'uniformité. La personnalité juridique d'un établissement, c'est sa réputation et son image. Chaque université doit pouvoir décider de ses recrutements et de sa politique scientifique, c'est ce qui fait sa richesse", déclarait-elle au moment où Philippe Raimbault a présenté son projet. À noter que dans sa volonté de participer à la construction de l'Université de Toulouse, UT1 a néanmoins voté en faveur du projet lors du Conseil d'administration.

"Ce nouveau projet n'est pas une fusion, contrairement à ce que disent les opposants, mais une intégration, défend Daniel Lacroix. Il est important que nous mutualisions les missions que l'on gagne à faire ensemble, que ce soit en matière de recherche, de formation doctorale, de visibilité à l'international. À l'inverse, il faut garder de la proximité pour gérer ce qui n'a pas besoin de remonter : l'essentiel des formations, le recrutement des enseignants-chercheurs... C'est le modèle que je défends mais on ne sait pas trop jusqu'où on devra aller juridiquement", admet-il.

Philippe Raimbault a beau avoir l'essentiel de la communauté universitaire et politique derrière lui, le modèle suscite des craintes : les étudiants craignent de voir les frais de scolarité augmenter, les personnels redoutent des économies d'échelle et les enseignants appréhendent un pilotage technocratique.

Comment définir l'excellence ?

Autre aspect qui rend le dossier très "touchy" (peu de monde souhaite d'ailleurs s'exprimer publiquement et en toute sincérité sur ce dossier) : le modus operandi. "Je suis un peu scandalisé des conditions dans lesquelles nous avons travaillé. Si le modèle de la Comue ne convenait pas, il fallait que le jury le dise avant. La convention attributive a été validée par le Premier ministre [en 2013]. Nous avons perdu des années", pointe Daniel Lacroix. "La méthode choisie sous Sarkozy de s'en remettre à un jury international pour décider de qui allait devenir de rang mondial ou pas rend les gens complètement dingues, assure une autre source proche du dossier. L'évaluation qui a été faite quand l'Idex a été perdu n'était absolument pas  raisonnable. Trois personnes sont venues pendant deux jours, elles ne sont pas allées dans le fond des choses."

Difficile, d'ailleurs, de décider qui est d'envergure  mondiale ou ne l'est pas, la question de l'"excellence" étant toute subjective. Faut-il subventionner les laboratoires dans lesquels les chercheurs sont les plus renommés et qui publient le plus d'articles ? Faut-il au contraire privilégier ceux qui sont sur des niches peu connues mais au potentiel énorme ? Comment savoir quel projet de recherche actuel va donner des résultats extraordinaires demain ? Dans le nouveau projet, le choix est fait de mettre l'accent sur la transversalité entre les sciences de la
matière et de la vie, l'ingénierie, les arts et les humanités, "un atout majeur et différenciant du site toulousain, porteur d'innovations majeures pour la compréhension des défis sociétaux contemporains", indique le site Internet de l'université.

En 2013, le consortium Toulouse Tech a été créé pour renforcer les synergies et attirer dans la région les meilleurs étudiants et chercheurs des domaines des écoles membres : l'Enac (aéro-défense), l'Icam (ingénierie), l'INP Toulouse (agronomie, chimie, génie électrique), l'Insa Toulouse (sciences appliquées), l'Isae-Supaero (aéronautique), les Mines-Albi (ingénierie), l'institut Champollion (sciences) et l'université Toulouse 3 Paul-Sabatier (sciences). Toulouse se positionne par ailleurs comme Ville européenne de la science 2018 en accueillant l'Esof, un forum international consacré à la science et organisé pour la première fois en France. 150 laboratoires toulousains sont mobilisés. L'occasion d'affermir (ou créer) le sentiment d'appartenance à l'université toulousaine.

Le grand chambardement immobilier

Selon le classement 2016-2017 des villes étudiantes publié par L'Étudiant, Toulouse arrive en troisième position, derrière Grenoble et Rennes. Montpellier (qui a décroché récemment le label Isite, un "petit Idex") arrive sixième, et Bordeaux, dont le label Idex a été confirmé en mai 2016, n'est "que" septième. L'Idex ne fait donc pas tout. L'attractivité de l'université de Toulouse
passe aussi par la rénovation massive de son parc immobilier pour gagner en espace, en confort, en fonctionnalité. UT1 Capitole, qui est - avec celles de Clermont-Ferrand et de Poitiers - l'une des trois universités de France propriétaire de ses murs, bénéficie d'une situation exceptionnelle : le centre-ville. Revers de la médaille : le manque de mètres carrés. Plusieurs chantiers ont ainsi été lancés ces dernières années par la fac de lettres. Le projet phare concerne la construction de la future Toulouse School of Economics (TSE) entamée dès 2013 - 10 000 m2, des bureaux, un amphithéâtre et des salles de cours - qui seront livrés en 2019, avec trois ans de retard. L'autre chantier d'envergure en cours concerne le rachat par l'université du parking de la cité administrative, situé au cœur du campus. Et puis il y a le serpent de mer, le déménagement de Sciences Po Toulouse : l'établissement actuellement situé rue des Puits-Creusés et dont les locaux sont vétustes, devrait, par un jeu de chaises musicales, être relogé à la Manufacture des tabacs, dès que les étudiants de TSE auront emménagé dans leurs nouveaux locaux.

Mais UT1 n'a pas le monopole des chantiers. Après trois ans de travaux, le campus Mirail de l'université Jean-Jaurès a été inauguré officiellement le 24 novembre  2016. C'est la première université de France entièrement reconstruite, et le résultat est impressionnant : 23 hectares rénovés, dont 1 100 places de parking, 320 logements étudiants, un village ESS, le gymnase, le bâtiment de la présidence, l'UFR Langues, cultures et civilisations étrangères, un resto U. Un des chantiers les plus ambitieux et complexes a été la reconstruction de l'UFR de Psychologie (7 922 m2 de locaux démolis et 9 655 m2 reconstruits). Enfin, l'UT3 Paul-Sabatier a, quant à elle, bien que pénalisée par des finances exsangues, investi dans un auditorium complètement rénové, qui porte le nom de Marthe-Condat, première agrégée de médecine en France en 1923, et qui a étudié et enseigné à Toulouse.

UT3 en pointe pour l'innovation pédagogique

À la rénovation des murs s'associe désormais presque naturellement la rénovation des méthodes d'enseignement. L'innovation pédagogique, UT3 Paul-Sabatier en a fait un cheval de bataille, avec, en 2016, un vrai coup d'accélérateur pour plusieurs projets de fab labs, fabspaces, jardins agroécologiques et de travail collaboratif...

L'objectif : rapprocher le monde de la recherche de celui des entreprises, en faisant travailler côte à côte chercheurs et étudiants, enseignants et grands groupes dans une philosophie plus proche de l'expérimentation (avec le NéoCampus, par exemple) que du cours magistral. Dans ce sillage, UT1 Capitole a inauguré à la fin 2016 son Learning Center, version moderne et connectée de la bonne vieille BU. De quoi donner envie de (re)prendre les études ?

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