Spatial : "Seul sur Mars" est-il vraiment un film de science-fiction ?

Le dernier film de Ridley Scott sort ce mercredi 21 octobre. La Cité de l'espace de Toulouse a organisé une avant-première du film Seul sur Mars, le 8 octobre dernier. Après la projection, les spationautes Thomas Pesquet et Léopold Eyharts, le chercheur Sylvestre Maurice et l'ingénieur Romain Charles ont analysé la super-production hollywoodienne. Leur verdict : un bon film de fiction et quelques erreurs scientifiques.
La Cité de l'espace a organisé une avant-première du film Seul sur Mars

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Jeudi soir, tout le gotha du spatial toulousain s'était donné rendez-vous dans la salle Imax de la Cité de l'espace. Au programme : Seul sur Mars, le dernier film de Ridley Scott, avec Matt Damon dans la peau du premier homme devant survivre seul et pendant de très nombreux sols (une journée martienne) en autonomie complète sur la planète rouge. Une sorte de Seul au monde à la sauce martienne en somme.

L'intrigue se résume en quelques mots. Membre de la première mission humaine sur Mars, Matt Damon, alias Mark Watney, est laissé pour mort par ses camarades qui fuient en fusée une tempête de sable monstrueuse. Son objectif : survivre et contacter la Terre pour ne pas "mourir ici".

Une superproduction hollywoodienne

Autant le dire tout de suite, "Seul sur Mars" est magnifique, à couper le souffle. "Les images de Mars sont assez extraordinaires", s'est exclamé le spationaute Thomas Pesquet, en direct de Houston. "J'ai vu Mars comme jamais, car nous ne la voyons qu'à travers les images statiques prises par la caméra du robot Curiosity", s'est enthousiasmé Sylvestre Maurice, le chercheur toulousain dont l'équipe pilote à distance la caméra du robot Curiosity de la Nasa.

Thomas Pesquet

Thomas Pesquet en direct de Houston © Manuel Huynh

Sortie aux États-Unis, la super-production hollywoodienne a déjà réalisé 55 millions de dollars de revenus, ce qui en fait le 2e meilleur lancement après Gravity. "D'habitude, Mars ne marche pas au cinéma, mais après Gravity et Interstellar, on pourrait s'attendre à revoir des films réalistes sur l'espace", considère Olivier Sanguy, le médiateur scientifique de la Cité de l'espace.

Pour la Nasa, qui a conseillé le film, l'enjeu est énorme. "L'agence américaine, qui ambitionne de préparer des vols habités vers Mars, voit en la promotion du film une occasion de toucher le grand public et de lui expliquer cet objectif", écrit Olivier Sanguy.

Propagande ?

De fait, pro-Nasa à l'extrême, le film flirte avec la propagande sur le thème de l'Amérique à la conquête de l'espace. Nouvel équilibre du monde oblige, c'est la Chine qui vient prêter main forte aux Américains. Exit donc la Russie, l'adversaire historique du drapeau étoilé. Exit aussi l'Europe, qui en dehors de la présence d'un spationaute allemand Alex Vogel, fait figure de grande absente de cette épopée, malgré son 2e budget mondial et ses performances scientifiques dans l'espace.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Seul sur Mars est un beau film, on le répète, étonnamment drôle, et permet de parler de l'exploration spatiale et de la planète rouge, ce qui est toujours bon à prendre.

Quelques erreurs scientifiques

Jeudi soir, à l'issue de la projection, les questions et les réactions étaient nombreuses à la Cité de l'espace.

"On apprécie la fiction et le rêve de voir des aventures pareilles même s'il y a quelques aberrations scientifiques", commente Léopold Eyharts, ancien spationaute et chef de mission en charge de la nouvelle génération de spationautes à l'agence spatiale européenne.

Première incohérence scientifique : la tempête martienne à l'origine de l'abandon de Mark Watney sur Mars. Du fait de la faible densité de l'atmosphère martienne (1/100e de l'atmosphère terrestre), la force de cette tempête initiale est plutôt irréaliste. "À partir de 100 km/h de vent, le sable commence tout juste à bouger", révèle Sylvestre Maurice. Un parti pris reconnu par Andy Weir, l'auteur du roman à l'origine du film, qui explique, dans une vidéo, avoir voulu dramatiser quelque peu son histoire.

Autre différence, anecdotique vis-à-vis de l'histoire, la forme des cailloux martiens. "Dans le film, ils sont arrondis ce qui montre qu'ils sont terriens car érodés, poursuit Sylvestre Maurice. Ceux sur Mars sont pointus."

Autre petit bémol : le rapport à la solitude. Seul sur Mars est un film d'action. Les lenteurs y sont rares et le héros est rarement inoccupé. Pour avoir passé 500 jours confiné avec 6 collègues de nationalités différentes dans un module qui préfigurait un habitacle martien, Romain Charles en sait quelque chose :

"On ne ressent pas la solitude du personnage aussi bien que dans le livre, précise Romain Charles. Le livre montre mieux les efforts consentis par Mark Watney pour résoudre ses problèmes. À ce propos, certaines solutions sont un peu tirées par les cheveux, mais il y a quelques bonnes idées."

Les déplacements dans l'espace ont eux aussi peu de lien avec la réalité. "Les sorties en scaphandre ne sont pas très réalistes car cela prend des heures pour se préparer et non quelques minutes comme dans le film", convient Thomas Pesquet.

Enfin, concernant la culture de pommes de terre réussie par "ce premier colon martien", Sylvestre Maurice note que "le sol de Mars est très oxydé et que le premier mètre est considéré comme stérile. Il faudrait creuser à 2 mètres pour trouver une terre plus intéressante et c'est ce que l'Europe va faire avec la mission Exo Mars."

Le film permet cependant d'aborder la question de l'importance de l'alimentation. Alors que Mark Watney en est réduit à se nourrir exclusivement de pommes de terre, les régimes alimentaires des spationautes sont aujourd'hui scrutés à la loupe. Le Cnes apporte d'ailleurs son expertise à la Nasa dans le domaine de la nourriture bonus.

Qui ira (vraiment) sur Mars ?

Dans Seul sur Mars, l'exploration martienne est conduite par la Nasa, une agence d'État. En sera-t-il ainsi à l'avenir, alors que SpaceX s'est fixé pour objectif de conquérir la planète rouge ? "Aller sur Mars coûtera plusieurs centaines de milliards d'euros, ce qui est trop cher pour une simple entreprise", estime Léopold Eyharts. "On pourrait se mettre en orbite autour de Mars pour 200-600 milliards d'euros, ajoute Sylvestre Maurice. Y poser une mission habitée coûterait au moins 6 fois plus et nous n'avons pas encore la technologie."

Reste que, de l'avis général, les sociétés privées ont toutes leur place dans l'exploration spatiale.

"Les agences spatiales sont là pour défricher et explorer mais ce n'est pas une fin en soi, affirme Thomas Pesquet. Les initiatives privées sont les bienvenues. Elles doivent investir l'orbite basse de la Terre."

Pour le spationaute français qui partira dans l'espace en novembre 2016 pour 6 mois, les agences spatiales "n'ont pas vocation à demeurer dans l'orbite basse. Elles iront plus loin à l'avenir."

"On n'ira pas sur Mars du jour au lendemain, relève ce mordu de Mars. Avant de traverser l'Atlantique en avion, on a commencé par la Manche, puis la Méditerranée. La station spatiale internationale est un pas sur la route de l'exploration spatiale."

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