"Le gouvernement manque complètement d'imagination" en matière d'économie

Pour le régulationniste Gabriel Colletis, le gouvernement français mène une politique "comptable" manquant "complètement d'imagination". Économiste au laboratoire toulousain Lereps, il prône la mise en place d'un nouveau système de développement.
Gabriel Colletis

Le gouvernement français est trop arc-bouté sur l'objectif de réduction des déficits. C'est devenu une politique mono maniaque. Il n'y a que cela qui compte. Je pense que c'est un appauvrissement du contenu de la politique économique. C'est assez affligeant. Je ne pense pas du tout qu'on sorte de la crise en faisant cela car, pour réduire un déficit, on réduit les dépenses et on accentue une tendance à la fois récessionniste et déflationniste.

Au lieu de ça, il faudrait d'abord se poser la question de la nature de la crise. S'il s'agit d'une crise des finances publiques, il faut se polariser sur la réduction du déficit. Si c'est une crise de croissance, il faut se demander quelles mesures nous pouvons prendre pour stimuler la croissance. Faut-il une politique budgétaire ou monétaire ? Je pense par exemple à la décision de la BCE (de racheter 1 000 milliards de dette pour éviter la déflation, NDLR).

Or, il s'agit d'une crise beaucoup plus grave, beaucoup plus profonde. C'est une crise qui implique que nous pensions un nouveau modèle de développement. De ce point de vue-là, la politique de réduction des déficits paraît un peu courte.

"La réponse du gouvernement est timorée"

Mon sentiment est que le gouvernement actuel ne se donne absolument pas les moyens d'envisager, avec le corps social, un grand débat sur ce que devrait être un nouveau modèle de développement en France.

Il faut penser la transition écologique, reconsidérer le travail, non pas comme un coût, mais comme un apport de richesse. Il faut penser la compétitivité, non pas comme un coût et un prix, mais comme une question de qualité et d'adaptation des produits aux besoins. Là, on rejoint la question de la transition écologique. Que fait-on pour fournir des logements faiblement consommateurs en énergie ? Comment développe-t-on une automobile propre ? etc. etc.

La réponse est très timorée, très en retrait. Il n'y a pas de réflexion sérieuse sur les moyens de réguler la sphère financière. Le gouvernement français freine des quatre fers l'instauration d'une taxe Tobin. La séparation entre les banques d'affaires et de dépôt en France est extrêmement timide. Toute la régulation financière en France est mise en place à contrecœur. On a l'impression qu'il faut protéger les banques françaises.

Alors qu'il faut repenser la place de la finance dans ce nouveau modèle de développement, les réflexions sont très en deçà de ce qu'elles devraient être. Le gouvernement manque ainsi d'imagination. C'est un gouvernement comptable qui réduit les déficits et qui prend le risque insensé d'une mise en concurrence généralisée avec la loi Macron, qui accentue tous les mécanismes de concurrence en espérant qu'il y ait davantage de croissance.

Le scénario de la crise des années 1920

En période de dépression, voire de récession économique, mettre tout le monde en concurrence, c'est tirer les prix à la baisse. Ce qui se passe au demeurant. Et si vous ne savez plus comment combattre la déflation, on se retrouve avec le scénario de la crise des années 20. C'est très grave, très dangereux de déréguler à tout-va. Davantage de concurrence, ce n'est pas davantage de stimulation et d'innovation. C'est une pensée typiquement libérale. Elle peut fonctionner dans un monde en activité soutenue, mais pas dans un monde où les choses ne vont pas bien.

Si les conventions collectives explosent, le coût du travail baissera. Comment les industries feront-elles pour vendre ? Si tout le monde en Europe fait la même chose, il y aura une effet démultiplicateur qui provoquera un recul de l'activité économique très grave. C'est cela que je vois arriver.

Quand la BCE prend des mesures d'urgence, ce n'est pas vraiment pour rendre service aux Grecs. Elle voit bien que les indicateurs sont très mal orientés. Elle fait cela pour alléger le fardeau des banques et des États. Cela ne suffira pas. La crise est bien plus grave que cela. C'est une crise du modèle de développement. Il faut penser un nouveau modèle d'urgence. Et avoir une imagination politique plus forte que celle que propose le gouvernement à l'heure actuelle.

"Syrisa : une réponse d'urgence"

Même si la situation n'est pas la même entre la Grèce et la France, la tendance est la même : écraser la dépense publique pour équilibrer le budget.

L'élection de Syrisa est d'une part une réponse d'urgence pour faire face à une crise humanitaire très grave. Mais c'est surtout une tentative de penser et mettre en œuvre un nouveau modèle de développement. C'est ce qui est au cœur de leur programme : développer les activités productives en Grèce pour répondre aux besoins essentiels de la population grecque. Tout en repensant les relations au capital, au travail, à la nature.

À la différence de la France, le problème majeur de la Grèce est que la quasi totalité des biens, y compris agroalimentaires, que les grecs consomment, sont des biens importés. Cela n'est tout simplement pas possible. Si l'industrie grecque doit être construite - et elle le sera, du moins est-ce l'objectif du nouveau gouvernement -, ce sera d'abord pour répondre aux besoins des Grecs. La question de la compétitivité ne se pose pas en Grèce. Il faut qu'il y ait une production qui réponde prioritairement aux besoins.

La politique proposée par Syriza est à l'opposée de ce que fait le gouvernement français. Les deux politiques sont largement antinomiques.

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