Pétrole : quelle politique dans un marché sans boussole ?

Le gouvernement augmente le prix de la TIPP et met en place progressivement la taxe carbone. Une politique énergétique critiquée, mais pertinente et justifiée selon François Dauphin, expert international en énergie et Benoit Lemaignan, expert en transition énergétique.

Le gouvernement français vient d'annoncer dans le même mouvement une augmentation du prix de la TIPP et de la TVA sur les carburants, hausses résultant de l'abandon de l'écotaxe sur les poids lourds d'une part et la mise en place progressive de la taxe carbone autrement appelée "contribution climat-énergie" d'autre part. Bien que cela soit passé plus inaperçu au sein de la loi de finance rectificative, il vient aussi de geler jusqu'en 2019 la montée en puissance de la taxe carbone pour les industriels.
Ces mesures vont dans le même sens, augmenter progressivement le coût des émissions de CO2 et faire en sorte que cette hausse lèse les entreprises le moins possible. Si plusieurs médias ont mis en avant le principe de la double peine pour les particuliers, il apparait néanmoins que cette décision semble sinon pertinente du moins justifiée.

Vers la fin du marché du pétrole ?

Il convient tout d'abord de noter que le "marché" du pétrole n'en est plus un et le sera de moins en moins au fur et à mesure de l'effondrement des réserves conventionnelles dans les pays non membres de l'OPEP. En effet, à 45 $ le baril, seuls les pays disposant de réserves conventionnelles sont compétitifs. Le coût moyen de production des majors du pétrole est passé en moins de 10 ans de moins de 8 $ à plus de 30 $ et la quasi-totalité des moyens de production développés par ces entreprises au cours de cinq dernières années sont actuellement hors marché. Il en est de même de tous les moyens de production alternatifs (BTL, GTL, CTL, pétrole et gaz de schiste, offshore profond).

Le "marché" du pétrole respectera donc de moins en moins les règles d'un marché pur et parfait et obéira de plus en plus à des décisions géopolitiques. La conséquence directe sera une volatilité des prix croissante dont la récente chute du baril, d'une ampleur inégalée à ce jour, n'est qu'un avant-goût. Cette instabilité a l'avantage, pour les pays membre de l'OPEP, d'accroitre le risque associé aux investissements en production pétrolière et ce faisant d'en renchérir significativement les coûts de financement.

Attendons quelques mois pour voir dans quelle mesure tant les majors que les compagnies nationales couperont leurs investissements : le retour de bâton risque d'être sévère. Goldman Sachs a estimé récemment que plus de 1000 milliards d'investissement seraient annulés et le double à risque. Le même raisonnement peut être fait pour les investissements dans les moyens alternatifs de production ou de consommation.

Une politique éclairée de gestion de l'énergie pour la France, pays importateur de la quasi-totalité de son énergie primaire, serait de mettre en place une TIPP variable visant à lisser les soubresauts du coût des énergies importées. Dans une certaine mesure, l'augmentation de TIPP intervenue en décembre va dans ce sens, mais il faut aller plus loin  sauf à vouloir relancer la consommation et incidemment nos émissions de gaz à effet de serre.

L'absence de consensus mondial

La seconde observation évidente de ce début d'année est la confirmation de trois records simultanés : celui de la température moyenne dans l'hexagone et de la planète, ainsi que le franchissement du seuil de 400 ppm de particules de CO2 dans l'atmosphère. Force est de constater que l'humanité n'est pas confrontée à une insuffisance mais à un excès de ressources énergétique carbonées. Trop plein que les marchés ne peuvent et ne pourront réguler facilement.

La seule manière d'y parvenir est de s'assurer que la consommation d'énergie intègre progressivement le coût des déchets associés à la combustion des ressources carbonées, en l'occurrence les émissions de CO2. Mais compte tenu de l'inexistence d'un consensus mondial et d'un système de taxation aux frontières permettant de réguler la concurrence entre les zones qui mettent en œuvre des directives vertueuses ou laxistes, l'instauration de mesures drastiques ne résultera qu'à un transfert des activités industrielles à l'autre bout du monde.

Une autre question émerge : compte tenu de l'excédent de réserves de carbone fossile dont l'humanité dispose, les pays n'ayant pas encore exploité ces réserves pourraient demander une compensation financière vis-à-vis de ceux qui ont pu en bénéficier dans le passé pour leur propre développement. L'exemple du parc amérindien Yasuni montre que la mise en œuvre de cette approche est tout sauf évidente.

La politique française actuelle est donc en l'état la moins mauvaise possible. Espérons que les discussions de la COP21 de Paris fin 2015 permettront, enfin, de voir émerger une double politique d'instauration progressive d'une réelle taxe carbone associée à un mécanisme de régulation aux frontières de zones homogènes sur le plan économique et social. À défaut, l'inflexion de la trajectoire climatique restera un vœu pieux.

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