The Village : permaculture et agriculture urbaine  : le rêve de l'autosuffisance alimentaire

Plébiscités par une nouvelle population de plus en plus diplômée et en quête de sens, les potagers se multiplient en ville, alors que les micro-fermes fleurissent à la campagne. Un mouvement qui poursuit une autonomie quelque peu utopique, mais qui contribue très concrètement à la résilience des territoires.
Giulietta Gamberini
Plusieurs potagers urbains où les légumes sont à disposition des habitants

Le 18 avril, lors de la présentation du film à la presse, deux salles de cinéma étaient au complet. Depuis, à Paris comme en province, L'Eveil de la permaculture a réalisé 50.000 entrées. Le succès du documentaire du réalisateur André Bellay exprime bien l'intérêt croissant pour ce mouvement né en Australie dans les années 70, qui s'inspire de la nature afin de réduire au minimum la consommation de ressources et de créer des micro-fermes poursuivant l'autonomie vivrière et énergétique.

 Alors qu'il y a quelques années sa célébrité était limitée à certains milieux d'initiés, il attire aujourd'hui l'attention d'un public diversifié et diplômé : architectes, juristes, médecins sont de plus en plus nombreux parmi les apprentis venant s'initier aux principes de la permaculture lors de stages organisés à travers la planète et dans toute la France, témoignent les formateurs devant la caméra d'André Bellay. Impuissants face aux scandales de l'industrie agroalimentaire, appauvris par la crise financière de 2008, ils viennent y chercher une forme d'empowerment contre les pires effets de la mondialisation, à savoir la capacité d'élaborer des solutions concrètes qui passent notamment par la revalorisation des réseaux locaux et de l'économie circulaire.

 La résilience des villes nourrie par l'agriculture urbaine

 Dans un monde parallèle, celui de la ville, l'agriculture cherche aussi sa place : nombre de jardins, cours d'immeubles, mais aussi de friches, toits voire murs verticaux sont progressivement transformés en potagers. Souvent portés par les citadins eux-mêmes, les projets d'agriculture urbaine séduisent néanmoins aussi les municipalités, qui en aperçoivent le potentiel en termes de résilience des villes. La naissance d'une multitude de jardins dans les propriétés abandonnées, en tant que réponse improvisée à l'amplification des déserts nutritionnels après la faillite de 2013, a par exemple été l'un des principaux vecteurs de renaissance de Detroit.

 La capitale de l'Etat du Michigan non seulement produit aujourd'hui quelque 200 tonnes de nourriture annuelles, mais voit surtout se développer autour de l'agriculture urbaine une nouvelle économie locale -la ville compte désormais plusieurs véritables fermes et une trentaine de marchés paysans-, et des quartiers abandonnés se repeupler grâce à l'attrait de ces projets.

 En France, la ville d'Albi s'est carrément fixé l'objectif d'atteindre l'autosuffisance alimentaire en 2020, en s'approvisionnant uniquement dans un rayon de 60 km. Lancé début 2015 avec un budget de 300.000 euros sur 5 ans, le projet vise à multiplier les jardins partagés, à installer des maraîchers en ville et à construire des "réseaux de proximité" dans le département.

Lire aussi : Albi fait le pari de l'agriculture urbaine

Paris espère pour sa part végétaliser 100 hectares d'ici 2020, et en consacrer un tiers à l'agriculture urbaine : un appel à projet, Parisculteurs, vient d'être lancé afin d'attribuer l'exploitation de 5,5 hectares. Conscientes de l'attrait de ces initiatives et de leur potentiel en matière de politiques RSE, même les grandes enseignes championnes de la distribution globale s'y mettent : Carrefour a par exemple lancé à travers la France la création de divers potagers à proximité voire sur les toits de ses magasins, et en vend parfois les produits.

 Un essor porté par la communication globale

 Les nouvelles technologies viennent souvent en aide de ces projets : nombre de serres urbaines deviennent de lieux privilégiés d'expérimentation des techniques d'hydroponie comme de l'agriculture digitale, alors les énergies renouvelables assurent une partie de l'autonomie des micro-fermes rurales. L'objectif de promouvoir la production locale et les circuits courts profite en outre paradoxalement des technologies de la communication et de la dimension internationale de l'essor de la permaculture comme de l'agriculture urbaine. Sur Internet, les sites consacrés à la permaculture sont de plus en plus nombreux. Et des experts tels que l'Australien Darren Daherty sillonnent la planète pour promouvoir de meilleurs techniques de gestion des pluies, apprend-on du film d'André Bellay : le formateur contribue à quelque 1300 projets sur cinq continents. L'association Greening of Detroit, pionnière de l'agriculture urbaine dans la capitale américaine, partage aussi régulièrement son expertise avec des homologues actives dans d'autres villes américaines ou étrangères.

 Des partenariats incontournables

 Dans les faits, l'autosuffisance est d'ailleurs plus une ligne de direction qu'un objectif réaliste. La plupart des micro-fermes aujourd'hui "autonomes" le sont aussi grâce aux revenus issus des formations ou au travail fourni par les apprentis, montre le film d'André Bellay. Et même lorsque dans les projets plus anciens et aboutis, comme à la Ferme du Bec Hellouin, dans l'Eure, une véritable forme d'autosuffisance existe, la frugalité est de mise : selon une récente étude de l'Inra, l'activité maraîchère, conduite de manière intensive et à la main sur 1.000 mètres carrés, y génère entre 850 et 1.500 euros mensuels. Difficile dans ces conditions de convaincre les grands propriétaires bio voire traditionnels à adopter cette philosophie de production, malgré ses bienfaits en termes de pollutions et de réchauffement climatique, et ainsi de la considérer adaptée au défi de nourrir une population planétaire croissante.

Quant au milieu urbain, la plupart des métropoles ne disposent pas d'espaces cultivables suffisants pour nourrir leur population. Même dans une ville de 50.000 habitants comme Albi, le foncier est "le nerf de la guerre", admet le maire-adjoint au développement durable et à l'agriculture urbaine Jean-Michel Bouat, qui reconnaît devoir "courir après les terres" : "Pour nourrir toute la population en bio, il faudrait 600 hectares de maraîchage alors que, sur tout le département, on a moins de 300 hectares", précise le  conseiller municipal EELV Pascal Pragnère.

Et à Detroit, où au contraire les espaces vides sont tellement vastes qu'"en en utilisant seulement entre 5% et 10% on pourrait nourrir toute la ville", celle-ci "ne peut pas se transformer en ferme géante", la coexistence de diverses utilisations du territoire (transports, maisons, industrie) étant  incontournable en termes de résilience. C'est pourquoi le réseau et les partenariats s'avèrent indispensables : "Nous avons besoin d'un travail étroit avec les agriculteurs" autour de Paris et au-delà, admettait la maire Anne Hidalgo en janvier, à la veille de la présentation en Conseil de Paris de son grand plan d'"alimentation durable et agriculture urbaine", en soulignant ainsi que les objectifs écologiques, économiques comme de santé de la production locale demandent de travailler main dans la main.

Les 8 et 9 septembre prochain, 100 décideurs sont attendus dans la cité médiévale de Saint-Bertrand-de-Comminges pour la première édition de The Village pour réfléchir à un monde inclusif et durable. En amont de cet événement organisé par La Tribune en collaboration avec le Comptoir de l'Innovation INCO et la Région Occitanie, nous vous proposons chaque jour un article autour de cette thématique. Aujourd"hui, l'interview de Nicolas Hazard, fondateur d'INCO et président du conseil stratégique de la Ville de Paris. Pour toute demande d'information complémentaire : [email protected]

Giulietta Gamberini

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