Toulouse au coeur de la bataille pour l'aviation à hydrogène

Dans le sillage de l'avion zéro émission annoncé par Airbus, Toulouse est devenue le centre névralgique d'une multitude de projets de petits aéronefs à hydrogène. Non loin de la Ville rose, un technocampus de 10.000 m2 va commencer à sortir de terre en 2024 pour accélérer la maturation des technologies hydrogène. L'émergence d'une telle filière sera conditionnée notamment à un soutien sur le long-terme de la puissance publique.
(Crédits : Airbus)

En ouverture du sommet annuel organisé par Airbus ce mercredi 30 novembre à Toulouse, le patron de l'avionneur européen Guillaume Faury a confirmé son ambition de faire voler un avion régional à hydrogène en 2035, à condition notamment qu'il y ait assez d'hydrogène disponible au moment du lancement du programme (en 2027 ou 2028) sans quoi il pourrait être retardé. Le leader mondial aéronautique avait présenté à l'automne 2020 trois concepts pour ce futur aéronef dont une aile volante.

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Bouillonnement de projets autour de l'avion à hydrogène

Une feuille de route ambitieuse qui a entraîné dans son sillage l'émergence d'une multitude de projets d'aéronefs à hydrogène dans la Ville rose. « La décarbonation de l'aviation se fera là où son terreau est le plus fertile, c'est-à-dire dans le Sud-ouest », a assuré Bruno Darboux, président d'Aerospace Valley, pôle de compétitivité rassemblant les acteurs de l'aérospatial en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie, lors des journées Maele organisées le 29 et 30 novembre à Toulouse au coeur du salon Aeromart.

Le Sud-ouest a fait le pari de faire émerger des solutions décarbonées pour l'aviation légère. « 16 projets ont déjà été subventionnés par les deux régions Nouvelle Aquitaine et Occitanie à hauteur de 16 millions d'euros », rappelle Bruno Darboux. Parmi ces 16 projets, plus de la moitié sont concentrés à Toulouse.

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Certains se sont lancés sur ce créneau dès la sortie de l'école d'ingénieurs. Cofondatrice et CEO de Beyond Aero, Eloa Guillotin est passée par l'Isae-Supaero, un master d'entrepreneuriat HEC- Polytechnique et un semestre d'échange à l'université de Berkeley avant de se lancer dans l'aventure. La startup aimerait faire voler dans un premier temps début 2023 un ULM avec un rétrofit pour intégrer une chaîne propulsive à hydrogène avant de s'attaquer à la conception d'un avion d'affaires léger C23 doté d'une architecture entièrement repensée. « Nous avons désormais une équipe d'une vingtaine de personnes et nous avons réussi à accumuler quasiment une dizaine de millions d'euros pour le projet », salue Eloa Guillotin.

D'autres entrepreneurs ont attendu de longues années avant de saisir le bon moment pour participer à l'émergence d'une aviation à hydrogène. C'est le cas d'Olivier Savin. Dès les années 90, ce diplômé de Supaéro a travaillé au sein de Honeywell aux États-Unis pour le remplacement de la pile à combustible de la navette spatiale mais aussi sur des projets d'avions solaires. De retour en France au début des années 2000, il a rejoint le groupe Dassault Aviation dans lequel il a mené là encore plusieurs projets hydrogène. En 2020, il quitte Dassault pour créer Blue Spirit Aero, une jeune société qui a l'ambition de faire voler dès 2026 un avion de quatre places uniquement avec de l'hydrogène. Pas question pour la jeune société de faire du rétrofit, elle mise sur un nouvel appareil qui disposera de douze moteurs répartis sur les deux ailes de l'appareil.

« Mes 25 ans d'expérience m'ont permis d'imaginer l'avion idéal. Plutôt que d'avoir un seul moteur électrique alimenté par une grande pile à combustible qui reçoit l'hydrogène, j'ai préféré immédiatement répartir ma propulsion à puissance sous la forme de douze petits moteurs dispatchés sur les deux ailes de l'aéronef. Ce design renforce la robustesse de l'appareil face à la panne. L'avion peut continuer à voler avec jusqu'à huit moteurs sur douze en panne.

Ensuite, l'avantage de la pile à combustible est de fournir trois fois plus d'énergie qu'une batterie. Cela permettra à notre appareil de voler 700 kilomètres à 230 km/h avec autrement dit près de trois heures d'autonomie, soit beaucoup plus que de petits avions électriques alimentés par des batteries », détaillait récemment Olivier Savin dans La Tribune.

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Les startups étrangères maturent leur R&D dans la Ville rose

Signe que Toulouse est devenue un centre névralgique dans le développement de l'aviation à hydrogène, de multiples sociétés étrangères ont choisi de développer leur R&D dans la Ville rose. Le Singapourien H3 Dynamics qui compte désormais une centaine de collaborateurs à Singapour, en France et aux Etats-Unis dispose d'une antenne d'une dizaine de collaborateurs localisés dans le B612. La startup a annoncé il y a quelques jours avoir fait voler son premier drone cargo à hydrogène. La société planche à une échéance plus lointaine sur un avion de deux à quatre passagers qui accueillera six nacelles sous ses ailes.

Cet été, la startup californienne Universal Hydrogen a inauguré son siège européen au pied des pistes de l'aéroport de Toulouse. Elle mène actuellement des tests pour faire monter des modules d'hydrogène à bord d'un ATR 72. Une étape supplémentaire pour la startup qui espère mettre en service dès 2025 ses kits de conversion à hydrogène pour les avions régionaux.

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Début 2022, la Californienne ZeroAvia qui dispose de 220 collaborateurs aux Etats-Unis et au Royaume-Uni a également installé une antenne à Toulouse. Soutenu depuis 2020 par le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, et celui de Microsoft, Bill Gates, la startup développe un groupe motopropulseur hydrogène-électrique pour remplacer les moteurs thermiques dans les avions déjà en service. « La force des écosystèmes hydrogène en France est telle que c'est un point de passage obligé. D'autant que nous voulons monter des partenariats avec tous ces acteurs, les plus importants mais aussi des startups innovantes », explique Daniel Routier, directeur de ZeroAvia France.

Un technocampus hydrogène de 10.000 m2

Pour accélérer la maturation des technologies hydrogène notamment dans l'aéronautique, un technocampus de 10.000 m2 va commencer à sortir de terre en 2024 à l'aéroport Toulouse-Francazal pour être complètement opérationnel en 2026. Le centre d'essais qui sera ouvert aux laboratoires de recherche et aux industriels pour tester leurs technologies à faibles et fortes puissances (jusqu'à un mégawatt). Des bunkers pourront également être loués par les industriels pour mener de pré-tests en toute sécurité.

Un projet gigantesque qui va demander 35 millions pour les infrastructures et 20 millions d'euros d'équipements financés par la puissance publique (l'Etat, la Région qui porte la construction du projet et Toulouse Métropole) avec un fort soutien des industriels (Airbus, Safran, Liebherr, Vitesco, H2 Pulse).

« Ce Technocampus, je ne l'aurais jamais rêvé, glisse Christophe Turpin, responsable des activités hydrogène au laboratoire Laplace à Toulouse. Avec 10.000 mètres carrés, nous aurons dix fois plus d'espace disponible que sur la plateforme hydrogène actuelle à Toulouse avec une très grande originalité en cassant les frontières aussi bien entre la formation, la recherche universitaire et la recherche industrielle.»

Ce chercheur qui travaille sur l'hydrogène depuis 1999 a commencé ses travaux alors peu misaient sur cette technologie. Il a observé « une accélération » presque « déraisonnable » sur le sujet sur les deux dernières années. « Beaucoup d'argent est mis sur la table, il y a beaucoup d'enthousiasme mais quand nous allons prendre conscience de toutes les difficultés techniques, les questions de certification, il faudra veiller à bien maintenir l'effort sur la durée.» Cette nouvelle aviation demandera aussi de monter rapidement en puissance en matière de compétences. « Ce sont des métiers qui existent déjà pour la plupart et pour lesquels il va falloir apporter une coloration hydrogène et pas forcément des formations à créer de toutes pièces », souligne Benjamin Fèvre, animateur de filière Hydrogène en région Occitanie. La bataille pour l'aviation à hydrogène s'annonce déjà comme une course de fond.

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