"La société développe un syndrome de Stockholm avec le numérique"

Le numérique est-il une industrie à part entière ? C'est la question à laquelle ont tenté de répondre les économistes toulousains Jacques Crémer et Pierre Larrouy lors de l'Innovation IT Day. Les deux économistes envisagent le numérique comme une industrie au service d'autres industries et comme une manière d'organiser la société.
Deux économistes se sont penchés sur la question de l'évolution de la société grâce au numérique.

La troisième édition de l'Innovation IT Day, dédiée à l'innovation et à la place du numérique dans les industries actuelles, s'est déroulée le jeudi 9 juin au Centre Diagora de Labège. Temps fort de la journée : la conférence menée par les économistes Jacques Crémer, directeur de recherche à la Toulouse School of Economics, et Pierre Larrouy, spécialiste d'économie territoriale, sur le thème : "Le numérique est-il une industrie à part entière ?".

Le numérique, véritable mutation technologique

Jacques Crémer et Pierre Larrouy ont notamment abordé la question suivante : le numérique évolue-t-il en même temps que la société elle-même ? Les économistes sont d'accord pour affirmer que le numérique joue un rôle grandissant dans la sphère économique. Ils prennent pour exemple la récente montée en puissance de l'"uberisation" : ce néologisme, issu du nom de l'entreprise de voitures avec chauffeurs Uber, désigne la transformation de l'activité économique sous l'impulsion de l'innovation numérique et de la mise en réseau de consommateurs. Pierre Larrouy considère l'uberisation comme le business model du futur :

"L'uberisation est au cœur de la mutation industrielle, c'est le noyau des rapports des gens entre eux. Ce qui change actuellement pour les économistes, c'est la notion d'actif de l'entreprise : désormais, le réseau a plus d'importance que les immobilisations (matériel, mobilier, NDLR). On est donc dans une modification profonde de ce qui deviendra le modèle économique de demain."

Par ailleurs, les économistes pointent les inconvénients de la présence exponentielle du numérique dans l'économie, notamment ceux liés au stockage des données, corollaire inévitable de cette évolution technologique.

Big data : les nouveaux problèmes liés au stockage des données

"Avant de parler de big data, parlons de data : où sont ces données ? Comment sont-elles utilisées et dans quel contexte ?", questionne Pierre Larrouy. Si le stockage des données est une pratique largement répandue aujourd'hui, de nombreuses questions restent néanmoins en suspens, notamment celle de la régulation et de la propriété de ces données. En effet, les deux économistes constatent que la masse de données stockées s'accroît et, selon eux, l'utilisation grandissante de ces données dans les prochaines années devra encourager la mise en place de règles évolutives. Pour Jacques Crémer, "le prochain problème sera de s'assurer que les régulations que l'on met en place pourront être modifiées. Ce sera un travail très difficile. Il ne faudra pas délivrer de droits constitutionnels trop tôt."

Pour Pierre Larrouy, il y aura des choix technologiques à faire pour permettre de réguler et de gérer plus efficacement les données. Il propose de penser la gestion des données dans des schémas plus petits, comme celui de la région, voire du département :

"Un territoire, c'est par essence l'histoire d'un réseau, l'histoire de citoyens qui forment un réseau. Il y a énormément de datas dans un territoire. Dans un seul département, la quantité des données médico-sociales qui s'y trouvent est incroyable. Qui les organise ? Qui les récupère ? À qui appartiennent les données des banques, des gares, des aéroports... ?".

Le "syndrome de Stockholm"

Depuis quelques années, l'engouement pour le numérique est visible. De plus en plus de startups se lancent dans l'innovation technologique et l'industrie 4.0 permet même aux acteurs historiques de se transformer en usines intelligentes ("smart factories"). Mais les économistes dévoilent un autre versant du numérique. Pierre Larrouy avance l'hypothèse selon laquelle la société actuelle souffrirait du syndrome de Stockholm dans ses relations au numérique (ce phénomène où des otages prennent la défense de leurs agresseurs, NDLR).

"La numérisation, c'est à la fois l'utopie et la tyrannie. Une certaine partie de la  jeunesse s'est servie du numérique pour contester les élites. On retrouve la dynamique soixante-huitarde des hippies californiens dans la structure de beaucoup de réflexions autour du numérique. Mais, parallèlement, la société dite 'de liberté' est en train de se payer le luxe d'assister à la progression du terrorisme : les terroristes utilisent particulièrement bien ce système de liberté. Il ne faut donc pas voir qu'un seul côté de la pièce."

Le numérique, une manière d'organiser la société

Les économistes finissent finalement par apporter au sujet une réponse plutôt claire : le numérique est une industrie, mais son existence n'est pas une fin en soi. "Progressivement, le numérique s'est infiltré partout dans les entreprises, conclut Jacques Crémer. Le numérique est plus qu'une industrie, mais ce n'est pas son aspect principal. Aujourd'hui, le numérique est une manière d'organiser la société. Le numérique est partout, il infuse tout."

Malgré la mutation profonde que l'apparition du numérique a engendré, le numérique n'existe en réalité qu'au profit d'autres industries qui souhaitent se développer : "La start-app Uber par exemple ne fait pas partie de l'industrie du numérique, mais de l'industrie du transport. Le numérique n'est pas une industrie qui procrée, ce n'est qu'une industrie au service d'autres industries."

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