Didier Gailliegue : "Un bon leader est d'abord un exemple"

Ancien DRH de l'Aérospatiale et du Groupe Cahors, Didier Gailliegue s'intéresse depuis quelques années à l'intelligence émotionnelle. Dans son nouvel ouvrage "L'entreprise émotionnelle" (aux éditions L'Harmattan), il explique comment appliquer cette forme d'intelligence dans le monde du travail et en quoi elle devient une compétence incontournable pour les managers. Interview.
Le Toulousain Didier Gailliegue publie "L'entreprise émotionnelle" aux éditions L'Harmattan.

Comment peut-on définir l'intelligence émotionnelle ?

C'est une compétence comportementale qui fait la synthèse entre votre capacité à raisonner (via le cortex préfrontal) et votre système limbique, siège des émotions. L'intelligence émotionnelle marque la qualité du dialogue entre ces deux compétences.

Anja von Kanitz (professeure à l'Université de Marbourg en Allemagne et auteure de l'ouvrage L'Intelligence émotionnelle - Vos émotions sont vos alliées, NDLR) explique que l'intelligence émotionnelle a six composantes : trois d'entre elles portent sur l'individu et les trois autres sur le relationnel.

La composante la plus importante est probablement la conscience de soi, c'est-à-dire être conscient que l'on a une émotion positive ou négative. Il existe une grande difficulté à verbaliser, à mettre des mots sur ses émotions. Ensuite, il faut arriver à comprendre son émotion et à la maîtriser. La troisième composante est d'arriver à l'exprimer. Parfois, vous n'arrivez pas à faire ressentir à votre interlocuteur l'émotion que vous ressentez. Dans la langue française le mot ineffable correspond à cette situation où l'on ne trouve pas les mots pour le dire. Ensuite, dans le comportement avec autrui, l'intelligence émotionnelle signifie que vous arrivez à comprendre les sentiments des autres grâce à l'empathie. Une autre composante de cette forme d'intelligence est d'arriver à influencer les autres sans manipuler.

Dans votre ouvrage, vous expliquez que la prise en compte de l'intelligence émotionnelle dans l'entreprise est une mutation incontournable. Comment convaincre un chef d'entreprise, dont la priorité est surtout d'assurer la survie de son entreprise à la fin de l'année, de réfléchir à cette question ?

Les entreprises sont confrontées à de nombreux défis. L'enjeu environnemental les contraint à produire autrement en gaspillant moins d'énergie. Elles doivent aussi faire face à la transition numérique de notre société dans un contexte où notre système financier est en péril. Par ailleurs, prendre en compte l'intelligence émotionnelle dans l'entreprise demande du temps. Ce n'est pas évident car le temps, c'est de l'argent. Un tel changement comprend parfois des phases récessives. C'est difficile de maintenir un climat positif dans la société si vous perdez l'un de vos plus gros clients et que vous êtes obligés de supprimer des emplois.

Néanmoins, l'intelligence émotionnelle est une mutation incontournable pour les entreprises puisque si les rapports entre les collaborateurs de l'entreprise ne sont pas bons, mécaniquement les relations avec les clients et les fournisseurs ne sont pas pas positives non non plus.

Comment aller vers cette "entreprise émotionnelle" ?

Avant de vouloir tout changer dans son entreprise, le leader doit déjà faire un retour sur lui-même. Un bon leader est d'abord un exemple. Par contagion, il va insuffler des émotions positives auprès de ses collaborateurs. C'est par cette démarche que l'entreprise devient intelligente émotionnellement.

Avant, le chef avait une usine à contrôler et des directives à appliquer. Ce que l'on demande aujourd'hui à la hiérarchie, c'est avant tout d'être un coach. Je ne crois pas que l'entreprise libérée (forme d'entreprise qui supprime des échelons hiérarchiques, à l'image de l'expérience menée par Poult, NDLR) puisse devenir un modèle. Cet effacement total de la hiérarchie est démagogique. La hiérarchie est toujours là, son rôle est de décliner les objectifs de l'entreprise. Quand j'étais DRH, j'essayais d'être à l'écoute des salariés, de savoir ce dont ils avaient besoin pour bien travailler.

Lire aussi : L'entreprise libérée, illusion ou libération pour les salariés ?

Est-ce que l'arrivée des nouvelles générations, plus sensibles à donner du sens à leur travail, accroît ce besoin d'intelligence émotionnelle en entreprise ?

Vouloir donner du sens à son travail n'est pas un phénomène nouveau. Je me souviens moi-même de la chape de plomb qui s'est abattue sur moi quand j'ai commencé à travailler et de mon désir de trouver du sens dans le travail. Mais il est sûr qu'aujourd'hui, le chef d'entreprise qui veut monter sa boîte avec une hiérarchie militaire n'ira pas loin, puisqu'il n'arrivera pas à mobiliser les collaborateurs autour de lui.

Qu'est-ce qu'un bon leader ?

Un bon leader doit avoir une boussole morale et être un aimant émotionnel. Stephan Covey (auteur du best-seller sur le développement personnel Les sept habitudes des gens efficaces, NDLR) développe cette notion de boussole morale. Une entreprise doit avoir une stratégie qu'elle décline à court, moyen et long-terme. Peu importe si les prévisions ne sont pas respectées. Il faudra alors juste réaliser une correction de cap. Mais avoir une boussole est indispensable et c'est le dirigeant qui l'indique.

Par ailleurs, un bon leader doit être un aimant émotionnel (notion mise en avant par le psychologue américain Daniel Goleman, NDLR). Regardez Steve Jobs, l'ancien PDG d'Apple. Sur le plan humain, il n'était pas facile mais il parvenait à créer une résonance, stimuler une émotion positive parmi ses salariés. Ces derniers sont devenus des intra-entrepreneurs, des collaborateurs très innovants et très créatifs au sein de l'entreprise. Le leader doit donner du sens au travail pour aller dans le sens de l'entreprise. De la même manière, à Toulouse, Claude Terrazzoni (ancien dirigeant de l'Aérospatiale qui deviendra Airbus, NDLR) savait à la fois porter les employés avec lui et les mettre face à leurs responsabilités. Si les salariés se retrouvent dans un système normé où l'on pense à leur place et qu'ils se retrouvent en simples exécutants, comme lorsque Henri Ford considérait l'homme comme un simple moyen de production, ça se terminera mal.

Existe-t-il des petits exercices pour améliorer son intelligence émotionnelle ?

Avant de faire ces exercices, il faut se remettre en état puisque le corps est le support de l'intelligence émotionnelle. Il faut manger correctement, bien dormir et faire une heure d'exercice physique par jour. Il existe ensuite beaucoup d'exercices pour améliorer cette forme d'intelligence. Par exemple dans le livre, j'ai listé les erreurs de pensée les plus courantes : pessimisme, catastrophisme, généralisation... Vous devez observer si cela vous arrive souvent puis détecter l'élément déclencheur, la cause de ces sentiments. Dès que vous sentez une tension émotionnelle (cœur qui bat plus vite, mains moites), vous arrêtez tout ce que vous êtes en train de faire pour analyser ce qu'a déclenché cette tension. Le simple fait d'entrer dans cette démarche vous permet de reprendre votre maîtrise corporelle. J'ai repéré une soixantaine d'exercices de ce type que je compte rassembler dans un nouvel ouvrage qui devrait être publié d'ici la fin de l'année.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.