"Sans filtre" : l'édito d'Emmanuelle Durand-Rodriguez

La nouvelle édition Toulouse de La Tribune est en kiosque depuis ce jeudi 1er juin. Dans ce numéro, un dossier complet est consacré à aux quartiers qui vont changer Toulouse. Voici l'édito ainsi que le sommaire de ce deuxième numéro de l'année 2017.
Emmanuelle Durand-Rodriguez, directrice de la rédaction de La Tribune Toulouse

On finit par s'habituer au langage marketé des dirigeants d'entreprise. Si bien que, lorsque l'un d'entre eux s'en affranchit, on se pose la question : manque d'habitude ? Changement de communication ? Avec l'interview du nouveau CEO d'ATR, c'est sans doute plus simplement le message un peu cash d'un dirigeant à son écosystème et tant pis pour le Salon du Bourget ("un chalet en plastique où l'on sert du champagne tiède") ou l'image du groupe ("ATR est trop 'franchouillard'"). Quelles que soient les intentions de l'émetteur, force est de constater que des réponses sans filtres ne sont pas légion dans le monde assez codifié des interviews.

Combien de fois les journalistes se trouvent dans la situation où ce qui a été dit d'intéressant dans une interview se trouve subitement sous le couperet de la phrase fatale : "Non ça, vous le gardez pour vous... C'est off." Il doit exister quelque part un cimetière des faits qui n'ont pas eu lieu et des choses qui n'ont pas été dites.

Le off, nous y voilà... S'il s'agit juste de garder confidentielle la date de lancement d'un projet ou d'un produit, les journalistes peuvent le comprendre, c'est une affaire de confiance mutuelle. En revanche, ils se lassent d'un fonctionnement médiatique où ce qui est intéressant (au sens de susceptible d'éclairer les gens) tombe dans la zone grise du off.

D'abord parce que cette notion a été dynamitée par la publication du livre de Davet et Lhomme, né des confidences de François Hollande, lui-même persuadé jusqu'au bout qu'ils pourraient tous les trois "se mettre d'accord sur les citations". Avant même cet épisode qui a "précipité la chute de François Hollande" (dixit les auteurs) le 'off' finissait toujours par se transformer en 'on' avec la publication d'un livre, plus ou moins éloignée du moment des échanges. On se souvient des livres de Franz-Olivier Giesbert ou de Maurice Szafran et Nicolas Domenach sur Nicolas Sarkozy, pour ne citer qu'eux.

Ensuite parce que cette tendance s'ajoute à l'empressement des communicants à verrouiller le discours de l'entreprise ou de l'institution qu'ils représentent. Les lecteurs connaissent mal la réalité des conditions de la production de l'information. La plupart du temps, il n'y a pas d'ingérence et chacun fait son travail de son côté : le journaliste écrit ses articles, le communicant porte la parole, très bien. Mais il arrive aussi que les communicants, agence de communication, attachés de presse, directeurs de cabinet et autres revendiquent un droit de regard sur le travail du journaliste. Certains, une fois l'interview écrite, demandent à la relire et à apporter des modifications à la marge (une date, etc.). Mais d'autres, en presse écrite ou sur le web, tentent le coup et voudraient reformuler en profondeur les réponses. Il arrive même qu'ils essaient de modifier les questions (déjà posées !).

C'est dans ce contexte que s'est produite la mini-crise opposant les journalistes à Emmanuel Macron une semaine après son élection, l'Élysée demandant aux rédactions des médias d'envoyer en voyage de presse des journalistes spécialisés et pas systématiquement des journalistes politiques. Sur le fond, l'idée peut se discuter et c'est une certitude que les journalistes ont matière à réflexion sur leur propre métier. En aucun cas, malgré tout, ce n'est au président (fut-il traumatisé par la trop bavarde présidence précédente), à une institution ou à une entreprise de décider de la ligne éditoriale et du fonctionnement d'une rédaction. Le pouvoir peut décider, via une circulaire, de verrouiller la communication de ses ministres ; il ne peut pas être maladroit au point de vouloir le faire avec la presse.

La solution pour que la parole publique ait un sens et la crédibilité des journalistes un retour en grâce ? Ni off généralisé, ni communication verrouillée. Tout simplement parce qu'une société décidée à se tourner vers le progrès ne peut se satisfaire ni du bavardage hypocrite ni d'une novlangue autoritaire.

Car l'époque a changé et partout va croître l'exigence d'une parole publique sincère. En politique, le devoir de probité et de transparence est en passe d'être imposé par la loi (et ceux qui ont pensé s'y soustraire pendant la campagne l'ont chèrement payé). Mais, bientôt, la prochaine étape concernera l'entreprise et le monde du travail, là où s'étend l'exaspération contre les doubles discours. D'un côté, l'éloge de l'aventure collective et de la bienveillance, de l'autre l'art de rester opaque, les non-dits et les fausses hiérarchies horizontales... Si le récent livre de Mathilde Ramadier a dénoncé ce que peut masquer la coolitude des startups, le maquillage de la réalité n'a rien à leur envier dans nombre de PME et de grands groupes. Dans les organigrammes, certains passent plus de temps à habiller la réalité qu'à la faire progresser. Or, pour être vivante et sûre d'elle-même, une entreprise, comme une démocratie, a besoin que les portes et les fenêtres soient grand ouvertes. La future loi travail, en donnant aux salariés la possibilité de démissionner avec la garantie d'une indemnisation chômage, va changer l'équilibre du pouvoir dans l'entreprise. Pour garder ses salariés, la menace du chômage n'aura plus les effets qu'il a aujourd'hui et les éléments de langage et le story telling ont intérêt à ne pas être bâtis que sur du fake. Le courage est une vertu, dire le monde sans filtres est une nécessité.

Le sommaire de l'Édition Toulouse de La Tribune

- À la Une - Les quartiers qui vont changer Toulouse
Redynamiser la ville pour attirer de nouvelles entreprises, c'est l'objectif de Toulouse, qui a ciblé plusieurs quartiers pour peser davantage en France comme à l'étranger.

- Aéronautique - ATR trop "franchouillard" ?
L'interview sans filtre de Christian Scherer, CEO d'ATR, a suscité l'émoi des salariés et du syndicat FO, "choqué" par ses prises de position.

- Startup - Jokosun, l'électricité du soleil
La jeune pousse toulousaine veut fournir des panneaux solaires à l'Afrique pour couvrir les besoins de base des habitants en électricité.

- Numérique - Comment bien se protéger ?
Alors que l'Occitanie se met en ordre de marche sur la question de la cybersécurité, le droit est-il à la hauteur pour protéger nos données ?

- Portrait - Sylvain Barfety, rebelle itinérant
Après l'aventure Darwin, cet entrepreneur au parcours atypique a construit le projet du futur tiers-lieu de la Cartoucherie à Toulouse. Rencontre.

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