La culture, un dossier brûlant au Conseil régional : l'interview vérité de Serge Regourd

Le président de la commission Culture du Conseil régional n'a pas peur de la polémique. Serge Regourd évoque sans langue de bois les dossiers complexes qu'il doit gérer, au premier rang desquels l'harmonisation des politiques culturelles et le financement de la filière cinéma en LRMP. Personnalité incontournable (mais contestée) de l'audiovisuel en Midi-Pyrénées, le professeur, élu sur la liste EELV aux régionales, répond aux critiques. Entretien.
Serge Regourd, président de la commission Culture au Conseil régional LRMP

Vous avez sur la table l'énorme dossier de l'harmonisation des politiques publiques en matière de culture. Les Régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées étaient-elles si différentes en matière de politique culturelle ?

Il y a en effet une seule région qui prend désormais la suite de deux régions. Par leurs orientations politiques (elles étaient toutes les deux gérées par les socialistes), ces deux Régions auraient pu mener des politiques proches. Mais, en fait, elles ont mené des politiques à bien des égards très différentes ! Il y a deux modèles qui prévalaient. Pour simplifier, on peut dire que Midi-Pyrénées s'était organisée sur la base d'une politique d'autofinancement, avec un recours à l'emprunt marginal. À l'inverse, Languedoc-Roussillon a mené une logique de recours à l'emprunt, de dette publique. On en retrouve la traduction dans différents domaines budgétaires, notamment la culture.

Cela signifie-t-il que la Région Languedoc-Roussillon était plus généreuse en termes de subventions à la culture ?

Il y a en effet un discours dans le milieu culturel qui consiste à dire que Languedoc-Roussillon était plus volontariste et généreuse sur le terrain culturel. Mais quand on travaille sur les dossiers, on voit que la situation est plus nuancée. Un certain nombre de masses budgétaires en Languedoc-Roussillon relèvent de ce que l'on pourrait appeler un "tropisme métropolitain" ou un "fait métropolitain" pour rester pudique et non polémique...

Vous voulez dire que la Région Languedoc-Roussillon finançait des projets qui relevaient de Montpellier Métropole ?

Je m'explique : l'histoire de Languedoc-Roussillon a été marquée par une personnalité, Georges Frêche (dont les successeurs ont suivi la trace) et qui, d'une certaine manière, accordait peu de place à la question de savoir si la collectivité responsable était la Région, la Métropole ou la Ville. Frêche fut successivement maire, président d'agglo et président de la Région. Du coup - et pour moi, c'est la seule explication - comme les mêmes personnes géraient les différentes collectivités, on s'aperçoit que la Région finançait un certain nombre de projets ou institutions qui relevaient plus directement de la Métropole. Ainsi, en Midi-Pyrénées, on trouve un certain nombre de dépenses assurées par la ville de Toulouse, qui était assurées en Languedoc-Roussillon par la Région, ce qui pose aujourd'hui un vrai problème d'harmonisation.

Très concrètement, comment se traduisent ces problèmes d'harmonisation ?

Par exemple, la Région Languedoc-Roussillon finance l'orchestre de Montpellier sur le budget 2015 à hauteur de 4 millions d'euros annuels. Midi-Pyrénées finance quant à elle l'orchestre national de Toulouse en 2015 à hauteur de 580 000 euros seulement. C'est un rapport de 1 à 8 ! Vous imaginez le nombre de structures, de festivals ou de petits établissements que l'on peut financer avec 4 millions d'euros. À titre d'exemple, la Cinémathèque de Toulouse, une institution très importante (dont Serge Regourd fait partie, NDLR), bénéficie de 228 000 euros de subventions chaque année.

À mon sens, l'orchestre national de Toulouse est au moins aussi performant en termes de qualité et de notoriété que celui de Montpellier. Je sais que je ne me fais pas que des amis en disant cela, mais en termes de politique publiques, 4 millions d'euros, ça pèse.

Est-ce possible de tout remettre à plat ?

Ce qui est sûr, c'est qu'il est impossible de pouvoir tout remettre à plat sur un exercice. J'essaie de négocier une forme d'harmonisation par étape, mais ce n'est pas facile.

Avez-vous un vrai pouvoir de décision ?

Tout d'abord, ce sera mon seul mandat, le premier et le dernier. Je pars à la retraite cette année et je serai trop vieux dans six ans pour continuer à faire de la politique. Je ne suis donc pas du tout dans les problématiques d'autres personnes qui doivent aménager leur carrière politique et penser au mandat suivant : cela me laisse une liberté d'action formidable. Par ailleurs, dans la gouvernance mise en place le 1er janvier 2016, les commissions ont récupéré un pouvoir d'initiative, une possibilité d'amendement, qui n'existait pas auparavant et qui donne un vrai pouvoir,  en accord avec Dominique Salomon, la vice-présidente en charge de la Culture. Enfin, c'est important de le signaler, je suis également membre de la commission permanente qui réunit seulement 51 conseillers sur les 158 qui forment l'assemblée plénière. C'est là que se règle l'essentiel.

Néanmoins, je relativise : la culture représente 3 % du budget de la Région, donc je ne rêve pas. Si j'étais à l'économie ou aux transports, les enjeux seraient peut-être d'une autre nature. Mais là, j'ai bien conscience que c'est marginal. Et puis, je mesure aussi la lourdeur énorme de ce type de machine qu'est le Conseil régional. C'est très dur de faire bouger les lignes.

Vous avez un parcours remarqué dans l'audiovisuel (voir encadré). Est-ce que ce secteur est une priorité pour vous ?

L'audiovisuel est au cœur de ma vie depuis longtemps. Certains disent que j'y fais la pluie et le beau temps, mais c'est beaucoup plus compliqué que ça. J'ai beaucoup écrit dans ce domaine, j'ai travaillé comme expert pour des gouvernements de droite et de gauche : il y a des logiques de réseaux qui font que beaucoup de gens me connaissent. Du fait de ces réseaux, de ma notoriété, j'ai un certain pouvoir d'action. Mais je ne confonds pas l'audiovisuel avec la globalité du secteur culturel. L'audiovisuel est une priorité parmi les autres.

Néanmoins, l'audiovisuel est un secteur culturel à part, car considéré comme une industrie. Pose-t-il des problèmes particuliers ?

En effet, à partir du moment où l'audiovisuel est considéré comme une industrie, les enjeux économiques sont sans commune mesure avec les autres domaines culturels. Les questions du financement du cinéma et des fameuses retombées économiques sont primordiales.

Vous évoquez la problématique du financement du cinéma : les subventions accordées aux films par la Région font justement l'objet de soupçons. Certains professionnels parlent de "copinage" au sein des comités de lecture. Que leur répondez-vous ?

Les choses sont plus compliquées que cela. Bien sûr que le réseau compte : quand on connaît quelqu'un dans le jury, c'est toujours plus simple que quand on ne connaît personne ! C'est le cas dans tous les domaines. La sensibilité compte aussi, rien n'est parfaitement objectif quand on parle d'art et c'est humain. Est-ce que le choix des films subventionnés est scientifique ? Bien sûr que non. Mais à ceux qui se sentent lésés et qui disent que c'est du "copinage", je dis non, c'est faux. Il n'y a pas de vérité dans l'art, il y a des sensibilités. Je mets au défi quiconque de trouver une alternative à cela. Néanmoins, je constate que le système en place peut paraître flou et laisser place aux rumeurs de clanisme ou de clientélisme.

Que comptez-vous faire pour rendre ce système plus transparent ?

Il faut être vigilant sur le choix des experts qui composent les comités, ils doivent être incontestables sur la qualité de leur CV et leurs qualités humaines. Nous allons avoir prochainement des réunions avec les services et Dominique Salomon (vice-présidente de la Région en charge de la Culture, NDLR) qui porteront sur les modalités d'organisation du financement du cinéma. Nous allons travailler sur la façon de composer les nouveaux comités d'experts : faut-il uniquement des professionnels du cinéma dans ces comités ? Les élus doivent-ils être présent ? Il y a la nécessité d'un renouvellement dans les nominations des experts, pour éviter les critiques. Je ne parle pas de faire table rase mais il faut un certain turn-over. C'est toute la difficulté en région : une majorité de scénaristes, critiques journalistes, techniciens sont à Paris ! Ici, il y a moins de professionnels disponibles, donc on prend toujours un peu les mêmes...

Il faudra aussi établir un cahier des charges strict sur lequel le comité pourra se baser pour savoir si un film peut et doit obtenir des subventions. La question artistique et esthétique compte, mais aussi celle de l'emploi et des retombées en termes d'image, de notoriété pour la région.

Les professionnels du cinéma, notamment les associations de techniciens, craignent de voir disparaître l'agence Languedoc-Roussillon Cinéma (LRC). Que leur dites-vous ?

Il y a en effet en Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées des choix de gestion différents qui ont été faits. En Languedoc-Roussillon, certains services ont été externalisés à des organismes "satellites" de la région, alors qu'ils sont gérés en interne en Midi-Pyrénées. LRC en est un exemple : c'est une association de 9 salariés qui s'occupe notamment de l'attractivité du territoire en termes de tournages de films. De mon point en vue, on ne peut pas imaginer de rester dans ce statu quo : Languedoc-Roussillon avec son agence de cinéma autonome et  Midi-Pyrénées, qui gère les questions de cinéma en interne. Ce serait le contraire de l'unification.

LRC va donc disparaître ?

Non, la suppression de LRC n'est pas à l'ordre du jour. Les professionnels qui évoquent cela sont dans une forme de crainte, de paranoïa. Au plan des projets politiques, rien n'a encore été acté mais je pense qu'il faut trouver solution avant fin 2016 pour une unification en 2017. De deux choses l'une : soit on considère que l'agence autonome est vertueuse, auquel cas il faut élargir ses compétences à l'ensemble de la région, soit on considère à l'inverse que la gestion directe en interne est moins dispendieuse, auquel cas on ne conserve pas l'agence. Un audit sera réalisé. Cela vaut aussi pour tout le spectacle vivant, avec l'agence Réseau en Scène en Languedoc-Roussillon, qui n'a pas d'équivalent en Midi-Pyrénées.

Éléments biographiques

Unanimement décrit comme un acteur de premier plan pour le rayonnement du cinéma en Midi-Pyrénées, Serge Regourd est vice-président de la Cinémathèque de Toulouse et siégeait jusqu'à son élection au Conseil régional au comité de lecture des scénarios (dans le cadre du Fonds d'aide à la création audiovisuelle). Une omniprésence qui lui vaut parfois des critiques, certains professionnels du cinéma affirmant qu'il concentre tous les pouvoirs dans la filière audiovisuelle locale. Professeur de droit public à Toulouse 1 Capitole, il y dirige le pôle médias-culture-communication mais prendra sa retraite cette année. Au début des années 90, il a eu un rôle de premier plan dans le débat sur l'exception culturelle française au niveau européen. Il est notamment l'auteur de Acteurs de Caractère, et Éloge des seconds rôles. Durant la campagne des régionales en 2015, Serge Regourd s'est positionné sur la liste mené par l'écologiste Gérard Onesta, mais revendique n'appartenir à aucun parti.

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