Les ambitions des deux nouvelles directrices du Cnes à Toulouse (2/2)

Elles ont l'ambition des visionnaires, la poigne des leaders et des étoiles dans les yeux quand elles parlent de la conquête spatiale. Marie-Anne Clair et Geneviève Campan sont les nouveaux visages du Cnes à Toulouse. Elles vont opérer la transformation numérique et managériale de cette maison qui compte 2 500 salariés et qui doit à tout prix se moderniser. Des premiers résultats doivent être visibles au prochain salon du Bourget, en juin 2017. Seconde partie de cette interview croisée : les projets du Cnes.
Geneviève Campan et Marie-Anne Clair.

Le budget du Cnes augmente de 10% en 2017, passant de 2,12 milliards à 2,33 milliards d'euros. Comment interprétez-vous cette nouvelle ?

Marie-Anne Clair : Vous connaissez beaucoup d'établissements publics qui voient leur budget augmenter aujourd'hui ? Cela traduit un engouement réel et général. On le voit au niveau médiatique d'ailleurs : les journalistes se fascinent pour des événements uniques. Par exemple, on a lancé Rosetta il y a une dizaine d'années, nous avons attendu 10 ans d'avoir des résultats, cela s'est passé à des centaines de millions de kilomètres, après avoir parcouru 6 milliard et demi de kilomètres de trajet. Toutes ces dimensions "astronomiques" ont fasciné les gens.

L'astronaute Thomas Pesquet contribue à cet engouement ?

Geneviève Campan :
Thomas Pesquet est jeune et super, les gamins ont les yeux qui brillent en suivant son aventure, et ils auront peut-être envie d'aller faire des études d'ingénieur : on en a besoin pour faire avancer la science. J'ai deux fils qui ont mis du temps à s'intéresser au spatial alors que leur mère y travaillait, mais maintenant c'est autre chose, ils sont les premiers à être branchés là-dessus. Cet engouement dépasse l'entendement, j'en suis presque à me dire "attention que ça ne fasse pas too much !" Vous avez aussi un autre événement dont on parle peut-être moins, mais qui est tout aussi impressionnant, c'est le Vendée Globe. Le rôle du spatial dans cette course est passionnant et très impressionnant.

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Marie-Anne Clair: Mais ce n'est pas le New Space ! Thomas Pesquet, Philae, le Vendée Globe, ce n'est absolument pas le New Space, et pour utiliser un mot que l'on n'aime évidemment pas, c'est du "Old Space" !

MA clair, cnes

Marie-Anne Clair ©photo Rémi Benoit

Pourquoi investit-on autant d'argent dans le spatial, finalement ?

Geneviève Campan : C'est vrai que les gens se posent beaucoup de questions sur pourquoi investir de telles sommes, mais c'est aussi la part de rêve dont on parlait tout à l'heure et qui fascine les Américains : connaître les origines de la vie, le big-bang, est-ce que Mars a été habitable par exemple, ce sont des choses qui intéressent et qui ne sont pas remises en question par les gens. Le budget par Français par an consacré au spatial est de 33€.

Marie-Anne Clair: C'est à peine une paire de chaussure ! Et derrière cet espace qui fait rêver, on draine énormément de technologie et d'innovations techniques.

genevieve campan cnes

Geneviève Campan ©photo Rémi Benoit

Quels seront les gros chantiers du Cnes en 2017 ?

Marie-Anne Clair : : Il y a le satellite Microscope déjà, qui est un satellite de physique fondamentale que nous avons lancé en fin d'année dernière qui est en train de travaille. C'est un petit bijou de technique dont la mission scientifique est la mesure du principe d'équivalence (qui fait partie du kit de base de la théorie de la relativité générale). Einstein dit que la masse grave est égale à la masse inerte, et ce postulat n'a jamais été démontré. Donc, si l'on devait vérifier qu'Einstein s'est trompé, ce serait une révolution dans le monde de la physique. On peut aussi vérifier avec une précision inégalée jusqu'alors qu'Einstein avait vu juste, et ce serait également une grande avancée : on est typiquement dans la science, et quelque soit le résultat on va apprendre quelque chose, donc c'est génial !

Un autre enjeu important est le développement de la filière nano-satellites : notre objectif n'est pas de produire des nano-satellites en interne au Cnes, mais qu'il y ait en France une PME ou un groupement de PME qui soit capable de proposer sur le marché commercial des nano-satellites.

Geneviève Campan : Nous aurons aussi cette année la naissance d'un nouveau projet de satellite qui s'appelle Microcarb et dont l'objectif, en coopération avec les anglais, est la mesure du carbone, et visualiser l'effet de serre à partir du satellite. Ce sera un grand projet au niveau environnemental. Il faut savoir que sur les 40 variables qui représentent le climat et qui sont suivies en permanence, 26 proviennent de mesures faites par des satellites .

Marie-Anne Clair : Enfin, nous avons de gros enjeux au niveau des satellites de télécommunication puisque l'objectif des grands opérateurs de satellites est d'avoir des satellites de plus en plus puissants, de plus en plus flexibles. Aujourd'hui on n'accepte plus du tout l'idée de ne pas avoir internet n'importe où que nous soyons. Nous avons des projets avec des industriels pour mettre internet dans les avions par exemple.

Qu'est-ce qui vous motive ?

Marie-Anne Clair : On ne tombe pas par hasard "dans le Cnes", on a tous des histoires, des motivations personnelles. Moi, clairement, c'est l'Homme qui a marché sur la Lune, quand j'ai vu ça, j'étais petite je me suis dis "c'est pas possible, faut que j'en sois". Je ne suis pas la seule, ce n'est pas original chez nous !

Geneviève Campan : Moi les origines de mon arrivée au Cnes sont peut-être moins avouables... j'habitais Toulouse et j'avais un petit copain à Toulouse, il était hors de question que je trouve un stage ailleurs qu'à Toulouse. Je faisais des études de mathématiques et informatique. Je suis venue au Cnes en mécanique spatiale, j'ai là, la révélation : j'ai compris à quoi les maths pouvaient servir. La passion m'est tombée dessus.

Quand je revoie mes anciens camardes de promo, ils me disent : "mais comment tu fais pour encore avoir la passion de travailler là dedans ?". Mais au Cnes, on ne fait jamais le même boulot, on fait plein de choses différentes, on change d'environnement on change de gens avec qui on travaille.

Marie-Anne Clair : Ce qui change pas, c'est cet espèce d'état d'esprit Cnes : la passion, le goût du travail bien fait, et le goût de la technique. Je pense qu'ici tout le monde est conscient de la chance qu'on a de travailler dans ce domaine du spatial. Il y a peu de doutes dans la tête des "Cnessiens".

Qui sont-elles ?

Geneviève Campan est diplômée de l'ENSEEIHT (École Nationale Supérieure d'Électrotechnique, d'Électronique, d'Informatique, d'Hydraulique et de Télécommunications) et titulaire d'un DEA en mathématiques appliquées de l'Université Paul Sabatier à Toulouse. Elle intègre le Cnes dès 1980 au département des mathématiques spatiales, où elle occupera un poste de chef de service. Elle prend en 2001 la sous-direction des opérations des satellites opérés par le Cnes, en 2008, elle devient sous-directrice mission et exploitation avec un objectif de valorisation des données des missions exploitées par le Cnes, avant d'être nommée, en 2011, directrice du système d'information. Impliquée et reconnue dans des sujets d'actualité tels que le big data ou la valorisation des données, Geneviève Campan exerce aussi les fonctions de chef d'établissement du Centre Spatial de Toulouse.

Marie-Anne Clair est diplômée de l'ESTA (École Spéciale des Travaux Aéronautiques) et de l'École Polytechnique Féminine et a également gravi les échelons au Cnes où elle est entrée en 1983. Chef de division microsatellite, puis en charge du service des satellites scientifiques, elle est devenue sous-directrice ballons en 2009. Depuis 2013, elle était directrice adjointe à la Direction des lanceurs. Au cours de sa carrière, Marie-Anne Clair a acquis une expérience solide en matière de développement de projets spatiaux qui sera mise au service des activités de la Direction des Systèmes Orbitaux.

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