Bérengère Dastarac, l'anti-Netflix

Enseignante, directrice de création puis productrice cinématographique, la Lot-et-Garonnaise Bérengère Dastarac est aujourd’hui startuppeuse. Sa plateforme de vidéo à la demande consacrée au cinéma d'auteur a fait le buzz à Cannes et elle ne compte pas s'arrêter là. Portrait.
Bérengère Dastarac, tournée vers l'avenir

"Ça y est, enfin !" Bérengère Dastarac vient de recevoir le précieux sésame. Le soutien officiel du CNC, le Centre national du cinéma. La fondatrice de Nowave attendait cela depuis plusieurs semaines. "J'avais l'impression que ça n'arriverait jamais", lâche-t-elle. Un soulagement et une preuve de plus que sa plateforme de vidéos à la demande dédiée au cinéma d'art et d'essai, est sur les bons rails. Pourtant, il y a trois ans, elle ne connaissait rien au monde des startups.

Un monde qui la fascine mais dans lequel elle n'est pas complètement à l'aise. Le côté disrupteur et innovant lui "rappelle les pays du tiers monde où les gens se débrouillent", assure-t-elle. "Mais la pipolisation des startuppers me dérange un peu. Et puis, parfois, le mot startup n'est qu'un habillage."

Pas de quoi l'effrayer pour autant. Ce challenge n'est qu'un nouveau virage dans le riche parcours de Bérengère Dastarac. C'est d'ailleurs ce "côté femme courageuse, qui n'a peur de rien, passionnée et rock n'roll" qui a plu à Benjamin Böhle-Roitelet, fondateur d'Ekito, où crèche Nowave. Le nom de la startup est "un clin d'œil au mouvement post-punk No wave, avec notamment Jim Jarmusch, qui raillait la Nouvelle vague", explique justement la fondatrice.

"On attache beaucoup d'importance à la personnalité des porteurs de projet, assure le fondateur d'Ekito. Sa première vie lui a offert cette richesse, cette niaque qui fait les bons porteurs de projet. Elle est prête à affronter les difficultés inhérentes aux startups."

Thomas Guillaumot, son ami depuis plus de 20 ans, lui a présenté Benjamin Böhle-Roitelet. "Bérengère est quelqu'un qui a une vision, des valeurs, et qui est prête à les défendre. Elle est pugnace et possède l'ambition de faire des choses qui élèvent." Pendant deux ans, il a implémenté une culture design chez Ekito et accompagné les startups, dont Nowave, en matière de branding.

L'Egypte, une révolution multiple

Arrivée au Caire en 1995 pour enseigner le français après un Bachelor en Angleterre, Bérengère Dastarac, artiste dans l'âme, entre ensuite dans l'univers de la pub en tant que graphiste. "Cela s'est fait par hasard. Je faisais déjà beaucoup de peinture", se souvient-elle. Quelques années plus tard, elle devient directrice de création chez J. Walter Thompson.

Dix ans après son arrivée en Égypte, elle épouse un acteur égyptien. La naissance de son fils trois ans plus tard met sa carrière entre parenthèses et la Lot-et-Garonnaise décide en 2009 de travailler dans la boîte de production de son mari. En 2011, au cœur des printemps arabes, éclate la révolution égyptienne. Cet événement va bouleverser sa vie de multiples façons. Bérengère Dastarac produit le film Winter of Discontent, qui prend comme décor les événements agitant le pays. Sélectionné à la Mostra de Venise en 2012, le film n'est pourtant distribué que dans 13 pays. "C'est ce qui m'a donné l'idée de Nowave. Avec une sélection dans un festival comme la Mostra, on pensait que le succès du film était assuré, avoue-t-elle. Mais 90 % des sélections de films passent à la trappe."

Alors qu'elle est en vacances dans le Sud de la France à l'été 2013, de nouveaux massacres font 1 000 morts au Caire. Un électrochoc qui la décide à ne pas rentrer. "C'est étrange comme on s'habitue à tout. Mon fils faisait de la trottinette entre les chars, se remémore-t-elle. C'est un soulagement d'être partie." Cette épreuve entre en résonance avec ce qui se passe aujourd'hui en France.

"C'est très dur pour moi. Je trouve le rapport aux réfugiés et la façon dont ils sont accueillis très violents. Mais c'est ça ou ils crèvent, enrage-t-elle. Le Moyen-Orient est en explosion et je ne vois pas d'issue."

Bérengère Dastarac


Bérengère Dastarac dans les locaux d'Ekito © Rémi Benoit

Bousculer les codes

Fan des films de genre et notamment de zombie, Bérengère Dastarac cherche aujourd'hui à dénicher les dernières pépites du cinéma international. Avec Nowave, elle propose, autour d'une thématique, une sélection mensuelle de films d'art et d'essai passés par des festivals, à l'opposé du catalogue grand public de Netflix. "Il y a en moyenne 675 films qui sortent en France chaque année et un tiers fait moins de 9 000 entrées, souligne-t-elle. Mais ça ne veut pas dire que ce sont des mauvais films. Aujourd'hui, les salles se sont modernisées et les films doivent être rentables immédiatement. L'aspect artistique n'a plus d'importance. Si vous n'êtes pas dans le moule..." Au travers de sa plateforme, aujourd'hui disponible en France et au Royaume-Uni, Bérengère Dastarac entend "remettre le narratif au centre et apporter de la diversité dans l'offre cinématographique" tout en redonnant plus de place aux femmes. Un projet qui a convaincu le jury de Biznext puisqu'elle a remporté le trophée dans la catégorie "Innovateur de l'année".

Au-delà de la promotion du cinéma d'auteur, elle veut casser les blocages du cinéma français, très frileux par rapport au numérique. "Les usages ont changé avec internet. Moi je dis qu'on peut regarder des films sur son téléphone sans qu'ils aient moins de valeur." Son concept de plateforme de VOD a séduit lors du festival de Cannes. Une surprise pour elle mais pas vraiment pour Benjamin Böhle-Roitelet.

"Nowave est une deuxième génération de VOD. Un marché complémentaire de ce qui existe, plus travaillé, intellectuellement stimulant. C'est un nouveau modèle qui amène de la valeur aux ayant-droits", assure-t-il.

L'objectif avoué de Nowave est d'atteindre les 5 000 abonnés et d'être présent dans 7 pays d'ici à l'été 2018. "Et pourquoi pas le décliner pour les enfants", ajoute Bérengère Dastarac avant de préciser que cela viendra en temps voulu, si Nowave trouve son public. Mais son ami Thomas est persuadé que "Nowave n'est que la partie émergée de l'iceberg et qu'elle a une ambition transmédia". L'ambition d'une amoureuse de l'art, désireuse de promouvoir l'exigence.

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