Joan Busquets, l'architecte-militant qui redessine Toulouse

De la réhabilitation des quartiers pauvres de Barcelone dans les années 70 aux lifting d’Amsterdam et de Tolède, l’architecte et urbaniste catalan Joan Busquets a consacré sa carrière à la problématique de la ville. Depuis 2010, il redessine Toulouse et a réussi la prouesse de faire l’unanimité entre la droite et la gauche. Portrait.
Joan Busquets

Six ans déjà que Joan Busquets multiplie les allers-retours entre Toulouse et Barcelone plusieurs fois par mois. L'architecte et urbaniste catalan choisi par Pierre Cohen (PS) pour réaménager Toulouse en 2010, a été confirmé dans cette mission par Jean-Luc Moudenc (LR) lors de l'alternance en 2014. Les Toulousains ont donc pris l'habitude de le croiser régulièrement au cours de réunions publiques pour présenter ses grands projets d'aménagement urbain. Ils connaissent son accent rocailleux et l'énergie qu'il met à défendre ses idées. Mais savent-ils vraiment qui est le professeur Busquets ?

Celui qui a réussi à convaincre les Toulousains de laisser leur voiture au garage pour se rendre dans l'hyper-centre grâce à des circuits de piétonisation réussis promet de faire des allées Jean-Jaurès (l'une des artères les plus passantes de la ville) des "Ramblas-Jardin plus belles que celles de Barcelone". Il conçoit aussi un quartier d'affaires ultramoderne à Matabiau, tout proche, avec des immeubles de grande hauteur. Il est surtout, en coulisses, celui qui est parvenu à faire l'unanimité entre deux camps politiques à Toulouse.

"C'est quelqu'un de génial, et ce n'est pas un mot en l'air !, assure Pierre Cohen, l'ancien maire de Toulouse. Je ne le connaissais qu'à travers Barcelone, une ville qu'il a métamorphosée mais, en travaillant avec lui, j'ai découvert quelqu'un d'humble qui sous des airs un peu effacés, est lumineux et brillant par sa créativité."

L'analyse de l'actuel maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc est proche : "Joan Busquets porte un regard humble sur les choses. Il est pragmatique, c'est un homme qui n'est pas conflictuel et a un caractère accommodant."

Mais derrière cette rondeur, l'homme n'aime pas se dévoiler. Celui qui enseigne à l'université polytechnique de Barcelone et à Harvard depuis des décennies, est plus habitué à parler d'architecture, que de lui-même. Il a cependant accepté le jeu du portrait et bloqué une heure dans son agenda, une matinée de décembre, avant d'entamer sa journée de travail à Toulouse. Rendez-vous est donc pris dans le hall d'un hôtel du centre-ville. Joan Busquets est enfoncé dans un fauteuil, il étudie des notes en prévision de sa journée de travail avec les équipes de Toulouse Métropole. À l'image de son costume trois pièces, tiré à quatre épingles, il fendra difficilement l'armure.

Un début de carrière militant

Né à Barcelone en 1946, Joan Busquets vit toujours dans cette ville qui reste "sa préférée" et a choisi de devenir architecte très jeune. Une nouveauté pour celui dont la famille n'avait aucune affinité avec ce milieu.

"Mes parents faisaient plutôt du commerce, mais moi j'étais attiré par la construction. J'ai envisagé l'architecture comme une manière de travailler pour la société, de créer de meilleures conditions de vie pour les habitants et mes parents m'ont encouragé."

Sa carrière débute de façon militante dans les années 70, après la mort de Franco. Alors que Barcelone "la rouge" est à reconstruire, une trentaine de quartiers abritent près de 100 000 personnes dans des bidonvilles. "À l'époque, la situation était difficile en Espagne, il était interdit de parler de ces quartiers et encore plus d'essayer de les faire évoluer." C'est pourtant par ce sujet que Busquets démarre sa carrière avec un doctorat sur les formes d'habitat clandestin et d'auto-construction et la création d'un laboratoire de recherche (toujours actif). Lorsque Barcelone entame sa rénovation urbaine, il est déjà repéré comme un architecte au service de la ville et son laboratoire est sollicité pour ce projet. Dans les années 80, il dirige même l'agence d'urbanisme de la capitale catalane qu'il redessine entièrement et ouvre sur la mer en prévision des Jeux Olympiques de 1992.

Depuis, Joan Busquets a laissé son empreinte à Delft, Amsterdam, mais aussi à Tolède, l'un des joyaux de l'Espagne, ou encore Coïmbra au Portugal. Dès 2010, c'est au chevet de Toulouse qu'il se penche, en tant que maître d'œuvre des projets urbains de la Ville rose. Une ville dans laquelle il a eu, dit-il, "envie de travailler pour des raisons très personnelles après y avoir passé trois étés avec femme et enfants, dans les années 90".

"J'avais gardé le souvenir d'une ville tranquille et lorsque l'appel d'offres est sorti, j'ai eu envie d'y répondre."

"Face aux élus, l'architecte n'est pas un roi"

Ces projets d'envergure prennent à chaque fois entre 5 et 15 ans à l'architecte selon les villes et lui imposent de travailler en direct avec les élus. Une vision endurante du métier qui n'a rien d'anodine.

"Les élus sont des gens qui ont été choisis de façon démocratique et ils ont des envies pour leur ville. Dans ce schéma, l'architecte n'est pas un roi, il se met au service de la ville et si son travail n'est pas terminé en cas de changement politique, c'est simplement un facteur de plus à intégrer, comme lors de l'élection de Jean-Luc Moudenc à Toulouse."

Quelques semaines après l'élection de ce dernier en 2014, les deux hommes ont fait connaissance. "Jusque là, j'éprouvais déjà un sentiment favorable à son égard en tant qu'élu de l'opposition, et j'ai finalement très vite adhéré à sa réflexion. Nous avons passé des demi-journées à travailler sur les grands projets urbains de la ville, TESO, le centre-ville, la mise en valeur de la Garonne...", se souvient Jean-Luc Moudenc.

De son côté, Joan Busquets qualifie l'édile "d'aimable et raisonnable" même si certaines de ses propositions de départ pour changer Toulouse ont été gommées par la nouvelle majorité (l'option d'un centre-ville "zéro voiture" n'a pas été maintenue).

Si le génie de Joan Busquets réside sans doute dans sa capacité à travailler avec des élus de droite comme de gauche, Alain Garès, le président d'Europolia qui travaille à ses côtés, - parfois pendant plusieurs mois avant de faire valider une étape par les élus - pointe les défauts de ses qualités.

"Il est têtu comme un Catalan ! En réalité, il y a un vrai paradoxe dans ce personnage qui est à la fois très à l'écoute et attentif à la façon dont les gens réagissent à ses idées, mais par ailleurs très ancré dans ses convictions. Il est très difficile de le faire changer d'avis."

À Toulouse, Joan Busquets affiche la Garonne et le canal du Midi au cœur de ses ambitions. "Le canal du Midi est actuellement complètement délaissé par les Toulousains, il faut que les gens reconnaissent son potentiel et que cet endroit redevienne une épine dorsale verte dans la ville. Pour cela, nous préparons une grande exposition sur le canal du Midi en 2017", indique-il.

Quand il ne redessine pas des villes, Joan Busquets enseigne à Harvard ou à Barcelone et mène des projets de recherche comme actuellement sur des modèles de villes du futur à travers le monde. Il partage ainsi sa vie entre Toulouse, Barcelone et les États-Unis, et se dit d'ailleurs autant intéressé par la transmission que par la construction. C'est comme cela que Pieter-Jan Versluys, aujourd'hui l'un de ses plus proches collaborateurs, l'a rencontré. "Il était mon professeur à l'école d'architecture et lorsqu'il m'a proposé de travailler à ses côtés, j'ai accepté en pensant rester deux ou trois ans... C'était en 2003 et, finalement, je suis toujours là. C'est un peu mon mentor."

De sa famille et de sa vie privée en revanche, il refuse de parler, tout juste évoque-t-il "deux enfants dont un fils qui fait aussi de l'architecture mais il ne faut pas toucher à ce genre de questions, vous n'en parlerez pas !"

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