Forum économique de la CCI : "Il ne faut pas opposer nouvelle et ancienne économie ! "

Innovation de rupture, business model en mutation, place de l'individu et émergence du local dans le global... La technologie chamboule nos écosystèmes. C'est autour du thème "Nouvelle économie : disrupter la croissance et réinventer le progrès " que s'anime ce 5 octobre le Forum économique de Toulouse, organisé par la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) toulousaine. Deux acteurs de ce forum et du monde économique à la fois global et local, Philippe Robardey, président de la CCI de Toulouse, et Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, confrontent leur opinion sur ce thème.
Jean-Hervé Lorenzi et Philippe Robardey.

L'économie "traditionnelle" pèse encore lourd dans le PIB de nos sociétés européennes. La nouvelle économie est-elle un mythe ? Faut-il opposer "nouvelle" et "ancienne" économies ?

JEAN-HERVE LORENZI : Non, la nouvelle économie n'est pas un mythe. La réalité, c'est qu'elle pèse entre 5 et 10% du PIB selon les pays. Son influence est immense mais les emplois qui y sont directement attachés - aux GAFA, par exemple - sont en fait assez limités. Quant à savoir s'il faut opposer "ancienne" et "nouvelle" économie, bien sûr que non ! La caractéristique de la nouvelle économie, c'est d'utiliser des technologies qui sont productrices d'efficacité et de changement de comportements, aussi bien pour les consommateurs que pour les producteurs.

PHILIPPE ROBARDEY : La nouvelle économie émerge de la diffusion des technologies et se réinvente chaque jour. Mais je ne crois pas, en effet, qu'on puisse opposer fondamentalement nouvelle et ancienne. Les secteurs des services, financiers et bancaires, les assurances, les compagnies aériennes, l'immobilier, etc. ne sont pas à l'arrêt.  La "nouvelle" économie, de son côté, fait naître de nouveaux acteurs et de nouveaux usages. Nouvelle et ancienne économie fonctionnent très bien en synergie. Les entreprises qui choisissent de s'adapter ont un champ des possibles immense face à elles.

Ubérisation, objets connectés, livraisons par drones... Les usages se modifient très rapidement.  L'innovation disruptive ne rend-t-elle pas les business model plus périssables ?

JEAN-HERVE LORENZI : Je ne crois pas du tout. Les modèles de distribution sont en train de changer, mais les biens et services qui sont fournis restent les mêmes ! Une chambre d'hôtel reste une chambre d'hôtel, un repas reste un repas, les voitures demeurent, pour le moment, très proches de ce qu'elles étaient par le passé. Il n'y a pas de transformation des biens et services. En revanche, on constate des transformations extrêmement profondes des modes de distribution et de commercialisation. C'est cela qui change, pas la nature même de la consommation des individus... pour le moment.

PHILIPPE ROBARDEY : En tout cas, les business n'ont plus la même épaisseur ou profondeur de marché. Prenons des exemples relativement anciens : la voiture a remplacé la diligence. C'était disruptif, cela ne s'est pas fait en un jour. Simplement, les personnes qui fabriquaient des diligences se sont progressivement tournées vers l'automobile... ou pas. De nouveaux acteurs entrent, les anciens s'adaptent. Quel que soit votre métier, il va être bouleversé par la diffusion des nouvelles technologies et va exiger le déploiement de nouvelles compétences.

L'innovation disruptive peut-elle rendre la croissance durable ?

PHILIPPE ROBARDEY : Oui, sous réserve que l'entreprise soit capable de s'adapter et d'être en phase avec son marché, ni trop tôt ni trop tard. Attention au syndrome qui vise à être en avance, complétement en rupture : si vous êtes là trop tôt et que le marché n'est pas là, vous allez dans le mur.

JEAN-HERVE LORENZI : Très difficile à dire. Pour le moment, elle a plutôt un impact de ralentissement de la croissance, tout simplement parce qu'on est en phase de transition. On peut imaginer, à terme, que tout ceci va créer une croissance.

Quelle place faire à l'individu, à l'humain, dans la nouvelle économie ?

JEAN-HERVE LORENZI : C'est un énorme problème qu'il est bon de soulever. Les technologies ont tendance, partiellement en tout cas, à déshumaniser la réalité du monde. Il faut évidemment retravailler ce point pour changer l'image, le sentiment, d'une phase de mutation technologique en réalité très perturbante pour les gens. Avec, en creux, la notion centrale et essentielle de liberté et des libertés individuelles, importantes à ménager.

PHILIPPE ROBARDEY : Considérer que l'entreprise doit à ses employés un travail identique durant toute leur carrière, sans que rien ne bouge est une impasse : l'histoire de l'évolution technologique l'a démontré. Si cette question passe en revanche par l'accompagnement des individus vers des formes nouvelles, en se remettant en cause et en acceptant que les conditions d'exercice évoluent, elle a alors toute sa place dans la nouvelle économie.

Le nouveau gouvernement engage-t-il les moyens nécessaires pour "disrupter la croissance" ?

JEAN-HERVE LORENZI : Je ne dis pas qu'il le fait parfaitement, mais si un gouvernement essaie depuis 20 ans, c'est bien celui-là. Il y a quelque chose de très novateur dans son approche. Mais, une fois de plus, tout cela reste compliqué, car il faut trouver des modalités qui concernent l'ensemble des moments de décision, qu'il s'agisse de la formation, de l'incitation à produire, de tout ce qui, de près ou de loin, contribue à créer un écosystème positif. Pour l'heure, ce n'est pas encore suffisant mais l'intention est là.

PHILIPPE ROBARDEY : Il faut lui porter le crédit d'essayer -comme aucun autre ne l'a fait auparavant- de corriger les erreurs du passé et de nous mettre dans une configuration pour l'avenir. En France, deux grandes périodes ont fondé l'encadrement des entreprises et les relations qu'elles ont avec leurs parties prenantes : celle de la fin du XIXe/début du XXe siècle, et celle de la fin de la seconde guerre mondiale. À ces époques, des dispositifs ont été façonnés et on a fait croire à tout le monde qu'ils étaient là pour la vie. Mais face à la nouvelle économie, la relation au travail de demain s'envisagera-t-elle toujours avec un contrat de travail, ou différemment ? Le gouvernement essaie de corriger cette situation pour revenir à une relation plus équilibrée et moins en la défaveur des entreprises.

La nouvelle économie, globale, donne-t-elle un nouveau rôle aux acteurs territoriaux ?

JEAN-HERVE LORENZI : Oui car, par définition, cette nouvelle économie est porteuse de décentralisation et, au fond, de réseaux plus que de hiérarchie. Tout n'est pas centré à Paris. C'est bien entendu un levier pour les régions. Mais c'est aussi une question d'état d'esprit. Pour voir la réalité des faits : wait and see.

PHILIPPE ROBARDEY : Localement, elle permet le développement d'écosystèmes, c'est clair. Dans le bassin toulousain, c'est le constat que j'ai pu faire en visitant des pépinières, notamment autour des Biotech.  Des entreprises se colocalisent, partagent et font ainsi évoluer des secteurs. Pour l'économie régionale, c'est précieux : des écosystèmes se créent, des localisations iconoclastes voient le jour... Il est désormais possible de s'adresser à des marchés mondiaux depuis des bases qui se trouvent  dans nos régions, c'est-à-dire des lieux où l'on trouve de la compétence et où les gens ont plaisir à vivre.

Propos recueillis par Aurélie Selvi

Big Data et startups au programme

Organisé ce 5 octobre par la CCI de Toulouse avec la participation de la CCI Occitanie, le Forum économique de la Ville rose se déroule au Casino Barrière de Toulouse. Economistes, écrivains et entrepreneurs s'exprimeront notamment lors de deux tables rondes, "Le Big Data, nouvelle révolution économique" à 14h, puis "Startup : stop au syndrome de Peter Pan" à partir de 15h30.

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